Baker

Cas clinique

Mercredi 29 juin 2011 à 22:46

           Sitôt les trente degrés dépassés, les premiers touristes rougeauds tombent comme des fruits mûrs de leurs pays du nord, arborant des bobs Ricard pour s'intégrer aux autochtones, trahis par leurs peaux rouges comme si on les avait épluchés et les chaussettes dans les sandales. Des guides gueulards hurlent leurs anecdotes sur différentes curiosités du centre ville à des groupuscules endormis, des vieillards léthargiques attendant la faux de la canicule, des couples de jeunes baroudeurs aussi chargés que des paras en commando, les légions d'asiatiques, nikon soudés au visage et les infatigables homme-tomates. C'est le temps idéal pour achever la fonte du cerveau devant tf1 en se grattant le bide.

Dimanche 26 juin 2011 à 12:04

          Pour le dernier contrat de la fanfare, animer l'apéro d'un mariage, le rendez-vous s'est fait en pleine garrigue, au bout de kilomètres de chemins de terre pleins de hérissons écrasés, avec pour seule marque de la civilisation les immenses enfilades de poteaux électriques de trente mètres de haut, partant de la centrale hydraulique, qui suffisent à rendre l'endroit dégueulasse. Dans l'immense mas entouré d'hectares d'oliviers nous attendions, avec quelques vieillards de la famille du propriétaire qui séchaient dans la cour, contrex à la main, l'arrivée du cortège et des mariés. Des dizaines de klaxons, typiques de cette situation, hurlèrent que la fête pouvait commencer, et les voitures couvertes de nœuds de mousseline blancs et roses se mirent à vomir des beaufs comme seule la région sait en produire, aux cheveux gominés tenus par un serre-tête ou des lunettes de soleil blanches, chemises roses ou blanches transparentes rentrées dans des jeans moule-poutre avec au bout des chaussures cirées pointues comme des seringues, la moustache fine poudrée de blanc, la pupille dilatée et suant le pastis pur. Presque tous ces guignols arrivistes et vulgaires traînaient à leur suite des pouffiasses qu'ils tenaient par le cul, emballées dans des robes à pied de chameau. Quelques invités, malgré tout, avaient réussi à s'habiller dignement.
          Et nous avons entamé l'insoutenable "marche nuptiale", sur demande du marié, morceau ringardissime pour un mariage hyper-cliché, au moment où les deux rois du plus beau jour de toute leur vie entraient sous les cris de la foule avinée et échauffée par les trente degrés à l'ombre. Elle d'abord, sourire figé dans sa robe à deux mille balles montrant à qui voudrait la voir son alliance monumentale avec plus de diamants que toutes les mines d'Afrique centrale, et baladant derrière elle deux gamines bouffies pour porter sa traîne. Lui, costume gris perle, plastron blanc éblouissant, noyé sous des litres de gel et d'eau de toilette et avec des grolles si brillantes qu'on s'y voyait vraiment courait dans tous les sens pour voir si tout se passait bien, besoin de rien, comment tu vas, tu pars déjà, et toute la liste des mondanités de circonstance. Nous jouions comme des brutes pour faire danser les agités dont certains titubaient et trébuchaient déjà sur les graviers.
          Tout était réglé comme une horloge, et à la dernière note, ils passèrent tous à table, sauf quelques déchets qui nous gueulaient des noms de morceaux qu'on ne savait pas jouer. On nous prépara une table dans le jardin pour engloutir la paella avec deux moules, deux crevettes, un morceau de poulet et une rondelle de chorizo exactement par personne, arrosée de rosé et de gros rouge pour ceux qui ne conduisaient pas. Des invités qui préféraient la vodka du buffet de la cour au repas dans la grande salle vinrent nous mitrailler de blagues de cul en poussant des rires aussi gras que leurs cheveux. Après une bataille épique pour des cafés, chacun put rentrer chez soi, en étant mis en garde d'éviter les sangliers, et en roulant sur les cadavres secs des hérissons.

Mercredi 15 juin 2011 à 9:00

          D'après L., il y a des choses avec lesquelles il ne faut pas rire, alors le bureau 421 ne rit plus du tout. Les ordinateurs ronronnent, les papiers chuchotent quand il leur vient l'envie de bouger. Personne n'entre jamais, mais il y a un monde fou. Le Silence, l'Ennui, le Temps qui tourne en rond, la Bêtise, la Mauvaise humeur, et la Paresse.
          Parfois un nouveau gâteau à avaler dans une énième pause se pointe, simplement pour mieux montrer qu'ici, même la fantaisie est monotone. On sourit tièdement aux blagues éculées, "ça va? Comme un lundi", que les esprit les plus fins déclineront en "comme un mardi/mercredi/jeudi,...", à midi, J. est toujours là, au garde à vous, pour claironner le fatal "band' d'abrutis", et si on nous amène du courrier, c'est toujours avec un grand sourire fier de la boutade sur les enveloppes de circonstance : "je vous les donne, c'est pas des factures!", parce qu'au quatrième, on est de sacré rigolos. Et on comprend mieux pourquoi les fenêtres ne s'ouvrent pas assez pour qu'un corps puisse y passer.
          Alors, j'apprends par cœur Philémon et Baucis, parce que c'est ce qui doit se passer.

Vendredi 10 juin 2011 à 19:37

          Le silence n’existe pas. La chaleur fait s’ouvrir les fenêtres des immeubles comme les fleurs d’un vieil arbre, et les oiseaux commencent pour chanter l’introduction du morceau barbare du réveil, suivis par les éboueurs qui passent avant le grand débarquement des autos du monde qui s’active. Rapidement avalé par la tempête, on entend parler, rire, éternuer, renifler, bailler, pisser, manger et s’arrêter en un rôt. L’honnêteté requiert qu’on assume de faire pareil, avec mille et une combinaisons : parler en baillant, éternuer la bouche pleine, renifler debout face à la cuvette, et rire grassement après un rôt. L’insoutenable tic et son acolyte, tac, rythment comme aux galères les gestes mécaniques jusqu’au sortir du travail, du cours, de la cellule, du parc et de la salle de sport.
          On retourne au point de départ, en martelant plus ou moins bruyamment le sol selon qu’on habite au rez-de-chaussée ou au treizième sans ascenseur, on jette ses chaussures en entendant les voisins le faire par les vitres béantes, on braille qu’ ‘’on est rentré ça va ?’’ à ceux qui sont déjà présents, ou un marmonne avec une belle flatulence qu’on se materait bien un film en bouffant les restes du frigo si on est seul.
           Les dernières heures avant l’extinction des feux remplissent les oreilles de musique, de murmures de feuilles tournées ou de la mitraille du clavier. Si l’on a quelqu’un à aimer, on écoutera ses soupirs appuyés avant de se rendre sans résister au sommeil, sinon, c’est ceux des voisines qui retarderont l’évènement, quand ce n’est pas une fête ou un autre candidat au repos qui hurle qu’il veut du silence bordel de putain de merde de nom d’une pipe qu’y en qui bossent enculés allez vous faire foutre je vais appeler les flics vous allez voir scrogneugneu. Peuvent rester comme derniers remparts les robinets, les chasses d’eau, les amoureux rentrés plus tard que prévu, les moustiques, les musiciens souls, les ivrognes qui ne savent jouer d’aucun instrument ou, sirènes hurlantes, les pompiers qui font la course avec l’ambulance et la police pour arriver les premiers à la même soirée qui commence à casser les couilles merde ça vous apprendra bande de cons ça va plus être possible hein la prochaine fois c’est moi qui viendrai et ça va barder connards. Et le réveil interromp le dernier bâillement d’épuisement.

Dimanche 5 juin 2011 à 15:01

          Pour son anniversaire, L. n'étais pas à table. Autour du meuble un peu égayé pour l'occasion, un lambeau de famille enchaînait les plats comme à la cantine. On avait beau n'être que quatre, les discussions ne prenaient pas, les yeux familiers ne se croisaient pas, le pain baignait dans la sauce comme nous dans notre vieux jus. La grand-mère attend la mort et se fait fort de le répéter, le grand-père souffre en silence pour cacher en vain son impotence croissante et confond enfants et petit-enfants, le père s'énerve de la tournure que prend leur fin de vie, et je regarde tout ça passer pourvu que ce soit vite. Un anniversaire aux airs de veillée funèbre, une famille fantôme qui agite ses souvenirs poussiéreux, étranges car il est difficile d'imaginer ces mêmes acteurs dedans. On retiendra que "c'était bon" et quelques sourires crispés après le conventionnel "ça fait du bien de se retrouver". Heureusement, la prochaine folie est dans six mois.   

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