Lundi 11 octobre 2010 à 15:58
Elle s'appelle Laury, et elle vient de Madagascar pour faire ses études en France, tout juste après son bac. Ses dix-huit ans et son petit mètre cinquante étaient accompagnés des cinquantes ans et des cent-dix kilos de Jacques.
Jacques est poli. C'est une qualité rare aujourd'hui. Jacques est aussi énorme, il porte fièrement un groin qui coule de son front gras, il laisse s'accumuler en perles les gouttes de sueur dégoulinant de ses lambeaux de chevelure huileuse et en paquet ,et surtout, Jacques a des odeurs. Celle de la transpiration, la faute aux quatre étages. Celle de la crasse, qui rappelle un peu l'urine. Celle du tabac froid. Et celle du sexe, quand il pose sa main d'ours pelé aux ongles jaunis par l'amour des gitanes sans filtres sur la nuque lisse et mate de la malgache, dans ce couloir de l'université.
C'est leur tour, ils entrent dans mon bureau. Bonjour, je viens l'inscrire,..., malgache,..., avion,..., études en France,... Jacques est en verve. Moi en apnée. Même les papiers d'inscriptions puaient cet homme. Mes mains courent sur mon clavier, les siennes sur les cuisses de Laury. La crasse s'accroche aux murs qui se couvrent de vomissures noires, et il n'y a que nous trois dans ces dix mètres carrés. Triste triangle amoureux. Jacques transpire, Laury sourit, et j'ai mal pour elle. Mal quand il m'explique qu'elle a laissé sa famille là-bas pour venir en France, mal quand j'apprends qu'elle n'a personne d'autre que Jacques, mal quand je comprends que son statut étudiant ne servira qu'à avoir un visa pour que ces vieilles couilles, pleines de frustration, de dégoût et de nature humaine, se vident dans un corps de dix-huit ans en toute légalité, et mal quand je l'imagine sur elle, lui offrant les perles de sueur qu'il sait si bien porter.
J'annonce les frais d'inscriptions quand il finit de l'embrasser, obligé de lui sourire parce qu'il me fait peur. Il trouve que trois cent soixante-dix-huit euros, c'est quand mêm' cher. Une gamine bien foutue, c'est trois cent balles. Moi je ne vaux rien. Je suis complice de prostitution détournée, et l'odeur terrible de ce démon flotte encore entre les quatre murs pour me le rappeler.