Baker

Cas clinique

Jeudi 22 novembre 2012 à 22:43

             « La mer était si noire, cette nuit-là, que tous les calmes reflets de bleus que nous lui connaissions le jour semblaient avoir disparus même dans nos mémoires. Ce noir abyssal la faisait paraître si profonde qu’on sentait qu’en mettant ne serait-ce qu’un pied à quelques centimètres du rivage les effroyables tréfonds nous aspireraient dans le brouillard du sable remué par les courants. La barque filait droit, pourtant ».

            Il se tut. Les guitares et les voix des groupes éparpillés sur la bande de sable faisaient sonner des airs entraînants, mais le mélange dissonant clouait sur place, et forçait l’oreille à se mettre à l’affût du chant des faibles vagues de la mer apaisée, ce soir. Il y avait peut-être des hommes, sans doute des femmes autour d’un mirage de feu qui paraissait ne brûler que de sable et d’air du soir. Des braises très réelles s’en échappaient en une colonne qui vrillait en tombant dans l’espace, et seule la peur d’une brûlure, ou de faire simplement un mouvement dans cet éternel instant si pur, si pur, empêchait la main de plonger dans la danse des étoiles montantes pour en capturer une pincée. Ç’aurait été risquer de tomber aussi, et de mourir en se cognant contre un satellite.

            L’air ambiant était d’une mollesse qui allait croissant. En s’allongeant on s’enfonçait dans le sol, en se levant on se fondait dans le vent et partout où les yeux se posaient tout se concentrait vers le point central de la vision faussée, disparu dans le point de fuite.

            Le vent battait une mesure bien à lui, indifférent à tout sauf à quelques coquilles rendues si fines par le ressac et le sel qu’elles se laissaient emporter les unes après les autres jusqu’à former comme un banc de poissons blancs, luisant sous les coups de la lune et mouvant comme un songe calme. Evoluant à trois mètres au-dessus de la plage, le banc changea mille fois de forme, forêts d’automne, comptable pressé, pièces d’échec, yeux pleins d’ennui, routes vers loin,… Enfin il devint un grand oiseau, qui dans un impressionnant coup d’ailes envoya une tornade de sable dans les yeux ébahis d’un chat errant qui s’enfuit en hurlant plus fort encore qu’un homme. L’oiseau ne fut peu à peu qu’une étoile de plus.

            Le jour se leva subitement, si vite qu’il ne fut pas vigilant et que la nuit lui retomba immédiatement dessus. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

            « L’océan était si sombres, ce matin-là, que tous les reflets de saphir que nous lui connaissions le midi semblaient avoir été effacés du monde et de nos mémoires. Cette pénombre de gouffre le faisait paraître si profond qu’on sentait qu’en ne jetant ne serait-ce qu’un regard depuis la berge le terrifiant remous nous aspirerait dans la tempête de sable qui prenait vie sous l’onde. La barque filait droit, pourtant ».

            Il se tut à nouveau. Il avait bien senti que son auditoire connaissait cette histoire qu’il cachait maladroitement sous des synonymes et des mots mis à la place d’autres. Pourtant, tous l’auraient écouté toute la nouvelle nuit, parce que sa voix était un parfait préambule au rêve, et que le sommeil les avait tous rejoint à cause de l’arrivée de cette nuit par surprise.

            Le sable aidé du vent imitait avec difficulté les jeux de relief de la mer qui par malice se déformait dans tous les sens. Il lui prit même l’envie de se changer en un interminable réseau de flux si rapides qu’on ne voyait plus qu’une onde d’eau qui vibrait entre la fin du sol et le début du ciel. Le sable, incapable de suivre, devint instantanément parfaitement plat et de fureur se changea même en verre. On voyait sous lui les grandes autoroutes de lave qui séparent les plaques tectoniques.

            Voyant soudain à travers le sable, le centre de la Terre vit qu’il existait un espace immense au-dessus de ce plafond nouvellement de verre. Il fit pousser à toute vitesse une ville très haute et très orthogonale, ce qui allait très bien avec le sable tout plat. La mer sentit qu’elle faisait tâche et se retira de la plage qui devint désert.

            « L’eau était si absente, ces années-là, que tous les reflets dont nous ignorons à présent les couleurs que nous lui connaissions par le passé semblaient avoir été supprimés de la réalité même et ainsi de nos mémoires. Cette absence la faisait paraître si empreinte de rien du tout qu’on sentait qu’en n’y pensant ne serait-ce qu’un instant depuis la ville au sol de verre le néant nous aspirerait dans le silence total et l’ombre dont il était tout de même un peu louche qu’ils existassent là où il n’y a rien. La barque filait droit, pourtant, mais vers le fond ». 

Vendredi 9 novembre 2012 à 18:43

 .
OUI

Lundi 23 janvier 2012 à 15:23

           Le fumet des bars trop sombres et bruyants avec leurs tables en bois qui semblent transpirer ; le pied hésitant sur le sol pavé de reflets confus qu'attrapent les yeux moins vifs ; les kilomètres à pied qui passent comme des secondes ; et le fatal creux de minuit qui s'accompagne de la descente qui rend quoique ce soit plus fatiguant, ennuyeux et irritant, quand juste avant le monde se tapissait de drôle ; tout était consigné dans le coffre qui contient ces choses que l'on ne fait ni pas ni plus. Ni pas parce qu'on l'a déjà fait. Ni plus parce qu'on le fait encore. Un peu qu'on a peur de faire devenir souvent, parce que c'est si facile qu'une fois qu'on y est, on balbutie que c'est trop et qu'il faut qu'on arrête. Donc tout cela était rangé.
          Mais dans la longue veille qui prend fin avec le soleil, parce qu'il faut dormir pour admettre un passage à demain après ces journées de cinquante heures, la mousse pâteuse de la bière noire, le moindre abri contre le vent polaire, les phrases qui ne se terminent plus, le hoquet et les remises en question du nombre de personnes qu'un lit peut accueillir et de volume de liquide qu'un corps peut assimiler prennent alors, à nouveau, à ce point des tournures fantastiques qu'on ne peut que se dire qu'il est dommage qu'on ne le fasse pas, car on n'ose admettre qu'on ne le fait simplement plus, en répétant, à raison, que ça creusait les cernes et les rides.
          Au point de ne même plus savoir en parler.
      Oui, car j'ai la nostalgie du caniveau, du temps maudit où je savais vomir, pouffer et m'essuyer du revers d'une main tremblante, entrecoupant un rire benêt de crachas bileux et ternes, gratter ces résidus secs sur mon poignet avec l'ongle après qu'ils aient séché grâce aux longues minutes de repos sur la cuvette, alors havre de confort. Ah ! sortir des chiottes ou se relever du trottoir triomphal, penaud, grognon ou affamé mais toujours apaisé et tituber dans une centrifugeuse bruyante et incompréhensible pour trouver n'importe quoi d'horizontal qui ne soit pas le sol et qui puisse être mou pour y ronfler à s'en réveiller. Trouver le sommeil. Perdre le lendemain. Se savoir, à force, honteux de le faire. Puis, bien des mois plus tard, déchiré car ça ne se fait pas. Oui, hélas, ça ne se fait plus.

Dimanche 8 janvier 2012 à 23:39

Je rêvais d'un hôtel simple et démesuré :
Moulures discrètes et clair parquet au sol,
Mais les couloirs étaient de dimensions folles,
On s'y déplaçait en métro et ils vrillaient.

Des routes, des rues grises et le ciel transperçaient
Le délire de cette architecture drôle.
Je servais des repas pour gagner mon obole,
Les suites portaient des noms de plats cuisinés.

Au pied d'une rampe apparut ma grand-mère
Debout, par habitude, devant mon grand-père
Dont la tête malade ânonnait la folie.

Elle avait vieilli d'au moins un millénaire
Soufflant : "je vais mourir", sa plainte coutumière.
Pour la première fois, je crus sa litanie.

Mardi 6 décembre 2011 à 12:24

 


J'           A          I
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Lundi 17 octobre 2011 à 21:35

           Autour d'un volume à environ trois mètres du sol. Au nord, quelques barres sortent des arbres, et un vent froid qui sent l'intérieur des terres. Comme tous les autres vents, d'ailleurs, sauf celui de l'est, qui sent la ville. L'ouest montre chaque jour son crépuscule aussi rose que partout, qui le soir teinte la tôle du bâtiment qui remplit la moitié gauche de la vue. Le sud est un souvenir. La nuit tombe déjà vite, et l'immeuble s'allume à peine, coloré avec mauvais goût, selon les motifs et les teintures des rideaux traversés par la lumière des néons. La moitié droite, une barrière végétale qui semble le jour cacher le bout du monde, devient une coulée de nuit sur la pelouse négligée, crevée de quatre pauvres étoiles, des lampadaires d'une hypothétique route dont les camions chantent parfois l'existence. Le ciel nocturne est toujours parfaitement noir, que des nuages le cachent ou non. De jour, il est souvent blanc, parfois bleu, presque toujours uni, d'ailleurs.
          Dix-huit mètres carrés de lino jauni retiennent les tâches de cuisine et les traces de chaises. On se douche aux toilettes, dans  la cabine d'un bleu standard à peine souillé d'une pellicule blanche que laisse l'eau trop calcaire. La brosse est rose. Les rideaux d'une sorte de rouge, luxe des deux-pièces de la résidence, gardent les odeurs de cuisine. Les murs, neuf en comptant large, ont dû être blancs. Le lit beige grince quand on y bouge trop, ceux des voisins aussi. Les tables grises et lisses se recouvrent jour après jour de traces de doigts et déjà de poussière.
          RAS.

Jeudi 29 septembre 2011 à 10:00

          J’entrai sans frapper, une absence de politesse convenue entre nous, vu qu’il ne m’avait jamais reproché de le faire. Il était toujours planté à sa place, comme un meuble de plus dans son appartement toujours si impeccable que je me demandais souvent si d’autres personnes venaient le voir. Il était réveillé, et végétait dans son canapé, dont je ne l’avais jamais vu bouger. Je m’étais résolu à le trouver éternellement ainsi depuis notre rencontre, que ni lui ni moi ne pourrions raconter parce que je n’ai pas la mémoire de ces choses-là, et que lui ne parle tout simplement jamais. En effet, j’avais évalué avec le temps sa masse aux environs de six-cents kilos, et il me semblait naturel que je ne le verrai jamais ailleurs que dans ce fauteuil au sky luisant comme s’il l’eût imbibé de sa sueur et de sa graisse avec le temps. Sa tête, au cou se répandant comme un gros morceau de cire, trônait sur les deux coulures de ce qu’on aurait pu appeler chez lui des seins, étirées le plus loin possible sur les innombrables vallées de son ventre lui tenant lieu d’accoudoir. Ce dernier paraissait avaler en haut ses bras dénués de toutes notions d’épaule et de coude et en bas ses jambes dont on ne pouvait deviner que la moitié inférieure des mollets, plus larges que ce que mon imagination aurait pu leur concéder. Des plis de ses poignets tentaient de s’échapper des doigts si gras qu’ils étaient comme joints entre eux jusqu’à leur extrémité, et ses pieds, à l’exception d’un orteil de son pied droit, je n’ai jamais su lequel, disparaissaient sous une couche de graisse, que vomissaient ses chevilles, et qui s’étalait sur la moquette toujours comme neuve. Ses immenses joues, qui le faisaient ressembler tant à un orang-outan qu’à un rongeur, vibraient mollement à chacune de ses respirations, l’inspiration s’accompagnait d’un léger bruit de succion tandis que l’expiration laissait presque à chaque fois échapper un rôt, seuls sons pouvant témoigner de la présence d’une vie, plus ou moins consciente, à l’intérieur de cette montagne humaine, ce continent de chair. Ses yeux ne clignaient pas, réduits à deux fentes sombres dont n’était jamais sortie la moindre lumière, surmontées de vestiges de sourcils qui recueillaient les flots de sueur que l’on pouvait voir couler de son crâne chauve sous formes de grosses gouttes, qui parfois parvenaient à s’échapper pour rejoindre les fleuves de transpiration qui sillonnaient les vallées grasses de son abdomen.

          Je m’approchai de lui, sans savoir s’il me voyait, et posai mon doigt sur un bout de l’immensité de son ventre. Il explosa, et il y en eut partout.

Jeudi 21 juillet 2011 à 9:27

          Il faudrait que les nuits soient plus noires, ou plus longues, mais je n'ai pas le temps et puis c'est épuisant, de dormir, monsieur. De toute façon, je n'ai pas le droit. Avant, ça se gérait dehors, mais c'est coincé à l'intérieur, dans les rouages qui se posent des questions. L'ennui, monsieur, l'ennui, c'est que tout va bien, et que je ne peux rien y faire.

Mercredi 29 juin 2011 à 22:46

           Sitôt les trente degrés dépassés, les premiers touristes rougeauds tombent comme des fruits mûrs de leurs pays du nord, arborant des bobs Ricard pour s'intégrer aux autochtones, trahis par leurs peaux rouges comme si on les avait épluchés et les chaussettes dans les sandales. Des guides gueulards hurlent leurs anecdotes sur différentes curiosités du centre ville à des groupuscules endormis, des vieillards léthargiques attendant la faux de la canicule, des couples de jeunes baroudeurs aussi chargés que des paras en commando, les légions d'asiatiques, nikon soudés au visage et les infatigables homme-tomates. C'est le temps idéal pour achever la fonte du cerveau devant tf1 en se grattant le bide.

Dimanche 26 juin 2011 à 12:04

          Pour le dernier contrat de la fanfare, animer l'apéro d'un mariage, le rendez-vous s'est fait en pleine garrigue, au bout de kilomètres de chemins de terre pleins de hérissons écrasés, avec pour seule marque de la civilisation les immenses enfilades de poteaux électriques de trente mètres de haut, partant de la centrale hydraulique, qui suffisent à rendre l'endroit dégueulasse. Dans l'immense mas entouré d'hectares d'oliviers nous attendions, avec quelques vieillards de la famille du propriétaire qui séchaient dans la cour, contrex à la main, l'arrivée du cortège et des mariés. Des dizaines de klaxons, typiques de cette situation, hurlèrent que la fête pouvait commencer, et les voitures couvertes de nœuds de mousseline blancs et roses se mirent à vomir des beaufs comme seule la région sait en produire, aux cheveux gominés tenus par un serre-tête ou des lunettes de soleil blanches, chemises roses ou blanches transparentes rentrées dans des jeans moule-poutre avec au bout des chaussures cirées pointues comme des seringues, la moustache fine poudrée de blanc, la pupille dilatée et suant le pastis pur. Presque tous ces guignols arrivistes et vulgaires traînaient à leur suite des pouffiasses qu'ils tenaient par le cul, emballées dans des robes à pied de chameau. Quelques invités, malgré tout, avaient réussi à s'habiller dignement.
          Et nous avons entamé l'insoutenable "marche nuptiale", sur demande du marié, morceau ringardissime pour un mariage hyper-cliché, au moment où les deux rois du plus beau jour de toute leur vie entraient sous les cris de la foule avinée et échauffée par les trente degrés à l'ombre. Elle d'abord, sourire figé dans sa robe à deux mille balles montrant à qui voudrait la voir son alliance monumentale avec plus de diamants que toutes les mines d'Afrique centrale, et baladant derrière elle deux gamines bouffies pour porter sa traîne. Lui, costume gris perle, plastron blanc éblouissant, noyé sous des litres de gel et d'eau de toilette et avec des grolles si brillantes qu'on s'y voyait vraiment courait dans tous les sens pour voir si tout se passait bien, besoin de rien, comment tu vas, tu pars déjà, et toute la liste des mondanités de circonstance. Nous jouions comme des brutes pour faire danser les agités dont certains titubaient et trébuchaient déjà sur les graviers.
          Tout était réglé comme une horloge, et à la dernière note, ils passèrent tous à table, sauf quelques déchets qui nous gueulaient des noms de morceaux qu'on ne savait pas jouer. On nous prépara une table dans le jardin pour engloutir la paella avec deux moules, deux crevettes, un morceau de poulet et une rondelle de chorizo exactement par personne, arrosée de rosé et de gros rouge pour ceux qui ne conduisaient pas. Des invités qui préféraient la vodka du buffet de la cour au repas dans la grande salle vinrent nous mitrailler de blagues de cul en poussant des rires aussi gras que leurs cheveux. Après une bataille épique pour des cafés, chacun put rentrer chez soi, en étant mis en garde d'éviter les sangliers, et en roulant sur les cadavres secs des hérissons.

Mercredi 15 juin 2011 à 9:00

          D'après L., il y a des choses avec lesquelles il ne faut pas rire, alors le bureau 421 ne rit plus du tout. Les ordinateurs ronronnent, les papiers chuchotent quand il leur vient l'envie de bouger. Personne n'entre jamais, mais il y a un monde fou. Le Silence, l'Ennui, le Temps qui tourne en rond, la Bêtise, la Mauvaise humeur, et la Paresse.
          Parfois un nouveau gâteau à avaler dans une énième pause se pointe, simplement pour mieux montrer qu'ici, même la fantaisie est monotone. On sourit tièdement aux blagues éculées, "ça va? Comme un lundi", que les esprit les plus fins déclineront en "comme un mardi/mercredi/jeudi,...", à midi, J. est toujours là, au garde à vous, pour claironner le fatal "band' d'abrutis", et si on nous amène du courrier, c'est toujours avec un grand sourire fier de la boutade sur les enveloppes de circonstance : "je vous les donne, c'est pas des factures!", parce qu'au quatrième, on est de sacré rigolos. Et on comprend mieux pourquoi les fenêtres ne s'ouvrent pas assez pour qu'un corps puisse y passer.
          Alors, j'apprends par cœur Philémon et Baucis, parce que c'est ce qui doit se passer.

Vendredi 10 juin 2011 à 19:37

          Le silence n’existe pas. La chaleur fait s’ouvrir les fenêtres des immeubles comme les fleurs d’un vieil arbre, et les oiseaux commencent pour chanter l’introduction du morceau barbare du réveil, suivis par les éboueurs qui passent avant le grand débarquement des autos du monde qui s’active. Rapidement avalé par la tempête, on entend parler, rire, éternuer, renifler, bailler, pisser, manger et s’arrêter en un rôt. L’honnêteté requiert qu’on assume de faire pareil, avec mille et une combinaisons : parler en baillant, éternuer la bouche pleine, renifler debout face à la cuvette, et rire grassement après un rôt. L’insoutenable tic et son acolyte, tac, rythment comme aux galères les gestes mécaniques jusqu’au sortir du travail, du cours, de la cellule, du parc et de la salle de sport.
          On retourne au point de départ, en martelant plus ou moins bruyamment le sol selon qu’on habite au rez-de-chaussée ou au treizième sans ascenseur, on jette ses chaussures en entendant les voisins le faire par les vitres béantes, on braille qu’ ‘’on est rentré ça va ?’’ à ceux qui sont déjà présents, ou un marmonne avec une belle flatulence qu’on se materait bien un film en bouffant les restes du frigo si on est seul.
           Les dernières heures avant l’extinction des feux remplissent les oreilles de musique, de murmures de feuilles tournées ou de la mitraille du clavier. Si l’on a quelqu’un à aimer, on écoutera ses soupirs appuyés avant de se rendre sans résister au sommeil, sinon, c’est ceux des voisines qui retarderont l’évènement, quand ce n’est pas une fête ou un autre candidat au repos qui hurle qu’il veut du silence bordel de putain de merde de nom d’une pipe qu’y en qui bossent enculés allez vous faire foutre je vais appeler les flics vous allez voir scrogneugneu. Peuvent rester comme derniers remparts les robinets, les chasses d’eau, les amoureux rentrés plus tard que prévu, les moustiques, les musiciens souls, les ivrognes qui ne savent jouer d’aucun instrument ou, sirènes hurlantes, les pompiers qui font la course avec l’ambulance et la police pour arriver les premiers à la même soirée qui commence à casser les couilles merde ça vous apprendra bande de cons ça va plus être possible hein la prochaine fois c’est moi qui viendrai et ça va barder connards. Et le réveil interromp le dernier bâillement d’épuisement.

Dimanche 5 juin 2011 à 15:01

          Pour son anniversaire, L. n'étais pas à table. Autour du meuble un peu égayé pour l'occasion, un lambeau de famille enchaînait les plats comme à la cantine. On avait beau n'être que quatre, les discussions ne prenaient pas, les yeux familiers ne se croisaient pas, le pain baignait dans la sauce comme nous dans notre vieux jus. La grand-mère attend la mort et se fait fort de le répéter, le grand-père souffre en silence pour cacher en vain son impotence croissante et confond enfants et petit-enfants, le père s'énerve de la tournure que prend leur fin de vie, et je regarde tout ça passer pourvu que ce soit vite. Un anniversaire aux airs de veillée funèbre, une famille fantôme qui agite ses souvenirs poussiéreux, étranges car il est difficile d'imaginer ces mêmes acteurs dedans. On retiendra que "c'était bon" et quelques sourires crispés après le conventionnel "ça fait du bien de se retrouver". Heureusement, la prochaine folie est dans six mois.   

Lundi 16 mai 2011 à 22:52

          Les rideaux fermés derrière la fenêtre ouverte cachent le soleil et la pluie des mots qu'une bouche prolixe qui dit oui répète à une oreille un peu sourde qui dit non. Des larmes courent sur des coins de sourires accrochés à des peaux blanches dans le noir, sur un carré de poésie en tissus rose et bleu, sous les yeux voyeurs des poètes en noir et blanc, avides des corps nus sens dessus-dessous sans dessous dessus. Elle est un paradoxe, paraît-Il. 

Jeudi 12 mai 2011 à 20:19

          Une île déserte, ronde, de trois mètres de diamètre. Tooo et Messine sont assis côte à côte et regardent le large.

Tooo : Je ne connais pas de femme plus belle que vous. J'ai pourtant fait le tour de l'île des centaines de fois ! Peut-être que c'est parce que je ne connais que vous.

Messine : Vous dîtes ça parce qu'aucune autre n'est là pour vous l'entendre dire.

Tooo : Ne vous sous-estimez pas !

Messine : Ça n'a rien à voir.

Tooo : Vous me prenez pour un menteur ?

Messine : Je ne l'ai pas dit.

Tooo : Alors quoi que je vous dise, vous resterez froide.

Messine : Je sais très bien où vous voulez en venir. Me croyez-vous idiote ?

Tooo : Je ne l'ai pas dit.

Messine soupire en regardant la mer. Tooo fait le tour de l'île en cherchant quelque chose du regard.


Tooo : Non, rien à faire, vous restez la plus belle.

Messine soupire à nouveau.

Tooo : Il n'empêche qu'il faudra bien se décider.

Messine : Et bien, que voulez-vous ?

Tooo : Je ne peux pas choisir seul, ça nous concerne tous les deux.

Messine soupire.

Tooo : Bah ! nous finirons bien par nous décider sur celui qui mangera l'autre pour survivre.



Vendredi 6 mai 2011 à 19:16

          Etalées sur le ventre comme des méduses brunes dont même la mer ne voudrait plus des premiers aux derniers rayons du soleil balnéaire, elles rôtissent, dodues et luisantes de crème sur leurs serviette-éponges, celle-ci pour tenter de ramener à la vie la libido fuyante d'un mari moins enclin à s'essouffler sur elle, celle-là pour essayer d'en trouver un avant de mourir seule, ou cette autre qui croit que c'est son seul recours pour qu'on lui dise encore qu'elle est belle. Sèches comme le sable, et poussées par le vent, elles se retournent car on leur a appris la cuisson à la broche, et le musée du téton ouvre ses portes. Poussés par des combats soixante-huitards, les bikinis se font mono, et les une-pièces s'ouvrent comme des grosses bananes ou des vieilles salopettes. Comme des fleurs des champs les poitrines s'ébattent, coulantes jusqu'au sol, couturées au silicone, petites et fermes, étirées et ridées, simplement parfaites, difformes d'avoir été trop longtemps pétries, saillantes comme des pis, brunes jusqu'au cancer, l'œil court sur le tabou levé et elles en sont les premières contentes. La plage de Carnon a déjà ses allures de barbecue, l'été commence en Mai. 

Samedi 30 avril 2011 à 12:01

          Les pieds ont infusé six jours dans l'eau turquoise et mes doigts puent le maquis, le fromage et le saucisson d'âne. Dans cette région où les vaches traversent les routes et sont plus avenantes que les habitants, on est fier de tout, même si les villes principales sont délabrées, avec leurs façades vomissant des briques qui évoquent plus le nom de La Fouine que de Tino Rossi, et s'il n'y a que des vieux parce qu'une fois qu'ils ont l'occasion de partir, les jeunes ne reviennent jamais. Dans ce coin où les femmes s'habillent toujours en noir parce qu'elles perdent un mari, un fils, un frère ou un cousin tous les mois, où les cimetières sont plus grands que des villages et où les rues, les places et les musées s'appellent "Napoléon Bonaparte", "Danielle Casanova" ou "Pascal Paoli", respectivement tyran, martyre et roi misérable de l'île, on comprend vite qu'on est pas chez soi et que ça ne sera jamais le cas.
          Alors on les oublie en se cachant les orteils dans les plages de sable épais, en laissant ses yeux se perdre sur les montagnes qui plongent dans la mer et en essayant de suivre les petits sentiers qui découpent le maquis, parce que ce ne sont pas les pins parasols qui vous diront que vous faîtes chier.

Vendredi 22 avril 2011 à 2:34

          Répétition au vin blanc d'une fanfare qui coule, l'œil gauche à moitié clos vient frapper chez vingt ans, Elle n'a eu qu'une brève. La fête est déjà partie en oubliant ses traces de liquide par terre et de bouteilles vides, et le potin la remplace. Le rhum est rose et on se réconcilie lui et moi. Le temps, en passant, souligne qu'il semblera surnaturel de travailler demain, alors au revoir, bisous, merci, escaliers et clés de contact. Dans la noirceur de l'heure où les hommes aux nez blanchis ne marchent plus droit et les filles tentent de ne pas lâcher leurs talons dans leurs mains, les couples se déshabilleraient à même le trottoir, et je ne sais trop quoi dire, car Elle dort déjà.

Vendredi 15 avril 2011 à 9:33

          Faute de musiciens à la répétition, on a joué de la bière, juste une, hein, du champagne, non vraiment, bon, mais juste un verre, et du rosé, non je dois y aller, là, je,..., merci, c'est vrai qu'il est bon. Puis, rentrant pressé parce que le téléphone devait pleurer, le whyskie a lancé les cinq heures de sommeil au lâcher de combiné. Et les yeux se retrouvent assis sur le bord de leurs orbites, écrasés par les paupières qui ne se portent plus.

Samedi 26 mars 2011 à 1:39

          J'ai bu sur un toit quand Elle a été évoquée entre nous. Vous et ils iront se faire foutre, et je reste figé devant une photo décoiffée d'ongles azur.

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