Baker

Cas clinique

Jeudi 22 novembre 2012 à 22:43

             « La mer était si noire, cette nuit-là, que tous les calmes reflets de bleus que nous lui connaissions le jour semblaient avoir disparus même dans nos mémoires. Ce noir abyssal la faisait paraître si profonde qu’on sentait qu’en mettant ne serait-ce qu’un pied à quelques centimètres du rivage les effroyables tréfonds nous aspireraient dans le brouillard du sable remué par les courants. La barque filait droit, pourtant ».

            Il se tut. Les guitares et les voix des groupes éparpillés sur la bande de sable faisaient sonner des airs entraînants, mais le mélange dissonant clouait sur place, et forçait l’oreille à se mettre à l’affût du chant des faibles vagues de la mer apaisée, ce soir. Il y avait peut-être des hommes, sans doute des femmes autour d’un mirage de feu qui paraissait ne brûler que de sable et d’air du soir. Des braises très réelles s’en échappaient en une colonne qui vrillait en tombant dans l’espace, et seule la peur d’une brûlure, ou de faire simplement un mouvement dans cet éternel instant si pur, si pur, empêchait la main de plonger dans la danse des étoiles montantes pour en capturer une pincée. Ç’aurait été risquer de tomber aussi, et de mourir en se cognant contre un satellite.

            L’air ambiant était d’une mollesse qui allait croissant. En s’allongeant on s’enfonçait dans le sol, en se levant on se fondait dans le vent et partout où les yeux se posaient tout se concentrait vers le point central de la vision faussée, disparu dans le point de fuite.

            Le vent battait une mesure bien à lui, indifférent à tout sauf à quelques coquilles rendues si fines par le ressac et le sel qu’elles se laissaient emporter les unes après les autres jusqu’à former comme un banc de poissons blancs, luisant sous les coups de la lune et mouvant comme un songe calme. Evoluant à trois mètres au-dessus de la plage, le banc changea mille fois de forme, forêts d’automne, comptable pressé, pièces d’échec, yeux pleins d’ennui, routes vers loin,… Enfin il devint un grand oiseau, qui dans un impressionnant coup d’ailes envoya une tornade de sable dans les yeux ébahis d’un chat errant qui s’enfuit en hurlant plus fort encore qu’un homme. L’oiseau ne fut peu à peu qu’une étoile de plus.

            Le jour se leva subitement, si vite qu’il ne fut pas vigilant et que la nuit lui retomba immédiatement dessus. Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

            « L’océan était si sombres, ce matin-là, que tous les reflets de saphir que nous lui connaissions le midi semblaient avoir été effacés du monde et de nos mémoires. Cette pénombre de gouffre le faisait paraître si profond qu’on sentait qu’en ne jetant ne serait-ce qu’un regard depuis la berge le terrifiant remous nous aspirerait dans la tempête de sable qui prenait vie sous l’onde. La barque filait droit, pourtant ».

            Il se tut à nouveau. Il avait bien senti que son auditoire connaissait cette histoire qu’il cachait maladroitement sous des synonymes et des mots mis à la place d’autres. Pourtant, tous l’auraient écouté toute la nouvelle nuit, parce que sa voix était un parfait préambule au rêve, et que le sommeil les avait tous rejoint à cause de l’arrivée de cette nuit par surprise.

            Le sable aidé du vent imitait avec difficulté les jeux de relief de la mer qui par malice se déformait dans tous les sens. Il lui prit même l’envie de se changer en un interminable réseau de flux si rapides qu’on ne voyait plus qu’une onde d’eau qui vibrait entre la fin du sol et le début du ciel. Le sable, incapable de suivre, devint instantanément parfaitement plat et de fureur se changea même en verre. On voyait sous lui les grandes autoroutes de lave qui séparent les plaques tectoniques.

            Voyant soudain à travers le sable, le centre de la Terre vit qu’il existait un espace immense au-dessus de ce plafond nouvellement de verre. Il fit pousser à toute vitesse une ville très haute et très orthogonale, ce qui allait très bien avec le sable tout plat. La mer sentit qu’elle faisait tâche et se retira de la plage qui devint désert.

            « L’eau était si absente, ces années-là, que tous les reflets dont nous ignorons à présent les couleurs que nous lui connaissions par le passé semblaient avoir été supprimés de la réalité même et ainsi de nos mémoires. Cette absence la faisait paraître si empreinte de rien du tout qu’on sentait qu’en n’y pensant ne serait-ce qu’un instant depuis la ville au sol de verre le néant nous aspirerait dans le silence total et l’ombre dont il était tout de même un peu louche qu’ils existassent là où il n’y a rien. La barque filait droit, pourtant, mais vers le fond ». 

Lundi 23 janvier 2012 à 15:23

           Le fumet des bars trop sombres et bruyants avec leurs tables en bois qui semblent transpirer ; le pied hésitant sur le sol pavé de reflets confus qu'attrapent les yeux moins vifs ; les kilomètres à pied qui passent comme des secondes ; et le fatal creux de minuit qui s'accompagne de la descente qui rend quoique ce soit plus fatiguant, ennuyeux et irritant, quand juste avant le monde se tapissait de drôle ; tout était consigné dans le coffre qui contient ces choses que l'on ne fait ni pas ni plus. Ni pas parce qu'on l'a déjà fait. Ni plus parce qu'on le fait encore. Un peu qu'on a peur de faire devenir souvent, parce que c'est si facile qu'une fois qu'on y est, on balbutie que c'est trop et qu'il faut qu'on arrête. Donc tout cela était rangé.
          Mais dans la longue veille qui prend fin avec le soleil, parce qu'il faut dormir pour admettre un passage à demain après ces journées de cinquante heures, la mousse pâteuse de la bière noire, le moindre abri contre le vent polaire, les phrases qui ne se terminent plus, le hoquet et les remises en question du nombre de personnes qu'un lit peut accueillir et de volume de liquide qu'un corps peut assimiler prennent alors, à nouveau, à ce point des tournures fantastiques qu'on ne peut que se dire qu'il est dommage qu'on ne le fasse pas, car on n'ose admettre qu'on ne le fait simplement plus, en répétant, à raison, que ça creusait les cernes et les rides.
          Au point de ne même plus savoir en parler.
      Oui, car j'ai la nostalgie du caniveau, du temps maudit où je savais vomir, pouffer et m'essuyer du revers d'une main tremblante, entrecoupant un rire benêt de crachas bileux et ternes, gratter ces résidus secs sur mon poignet avec l'ongle après qu'ils aient séché grâce aux longues minutes de repos sur la cuvette, alors havre de confort. Ah ! sortir des chiottes ou se relever du trottoir triomphal, penaud, grognon ou affamé mais toujours apaisé et tituber dans une centrifugeuse bruyante et incompréhensible pour trouver n'importe quoi d'horizontal qui ne soit pas le sol et qui puisse être mou pour y ronfler à s'en réveiller. Trouver le sommeil. Perdre le lendemain. Se savoir, à force, honteux de le faire. Puis, bien des mois plus tard, déchiré car ça ne se fait pas. Oui, hélas, ça ne se fait plus.

Dimanche 8 janvier 2012 à 23:39

Je rêvais d'un hôtel simple et démesuré :
Moulures discrètes et clair parquet au sol,
Mais les couloirs étaient de dimensions folles,
On s'y déplaçait en métro et ils vrillaient.

Des routes, des rues grises et le ciel transperçaient
Le délire de cette architecture drôle.
Je servais des repas pour gagner mon obole,
Les suites portaient des noms de plats cuisinés.

Au pied d'une rampe apparut ma grand-mère
Debout, par habitude, devant mon grand-père
Dont la tête malade ânonnait la folie.

Elle avait vieilli d'au moins un millénaire
Soufflant : "je vais mourir", sa plainte coutumière.
Pour la première fois, je crus sa litanie.

Jeudi 29 septembre 2011 à 10:00

          J’entrai sans frapper, une absence de politesse convenue entre nous, vu qu’il ne m’avait jamais reproché de le faire. Il était toujours planté à sa place, comme un meuble de plus dans son appartement toujours si impeccable que je me demandais souvent si d’autres personnes venaient le voir. Il était réveillé, et végétait dans son canapé, dont je ne l’avais jamais vu bouger. Je m’étais résolu à le trouver éternellement ainsi depuis notre rencontre, que ni lui ni moi ne pourrions raconter parce que je n’ai pas la mémoire de ces choses-là, et que lui ne parle tout simplement jamais. En effet, j’avais évalué avec le temps sa masse aux environs de six-cents kilos, et il me semblait naturel que je ne le verrai jamais ailleurs que dans ce fauteuil au sky luisant comme s’il l’eût imbibé de sa sueur et de sa graisse avec le temps. Sa tête, au cou se répandant comme un gros morceau de cire, trônait sur les deux coulures de ce qu’on aurait pu appeler chez lui des seins, étirées le plus loin possible sur les innombrables vallées de son ventre lui tenant lieu d’accoudoir. Ce dernier paraissait avaler en haut ses bras dénués de toutes notions d’épaule et de coude et en bas ses jambes dont on ne pouvait deviner que la moitié inférieure des mollets, plus larges que ce que mon imagination aurait pu leur concéder. Des plis de ses poignets tentaient de s’échapper des doigts si gras qu’ils étaient comme joints entre eux jusqu’à leur extrémité, et ses pieds, à l’exception d’un orteil de son pied droit, je n’ai jamais su lequel, disparaissaient sous une couche de graisse, que vomissaient ses chevilles, et qui s’étalait sur la moquette toujours comme neuve. Ses immenses joues, qui le faisaient ressembler tant à un orang-outan qu’à un rongeur, vibraient mollement à chacune de ses respirations, l’inspiration s’accompagnait d’un léger bruit de succion tandis que l’expiration laissait presque à chaque fois échapper un rôt, seuls sons pouvant témoigner de la présence d’une vie, plus ou moins consciente, à l’intérieur de cette montagne humaine, ce continent de chair. Ses yeux ne clignaient pas, réduits à deux fentes sombres dont n’était jamais sortie la moindre lumière, surmontées de vestiges de sourcils qui recueillaient les flots de sueur que l’on pouvait voir couler de son crâne chauve sous formes de grosses gouttes, qui parfois parvenaient à s’échapper pour rejoindre les fleuves de transpiration qui sillonnaient les vallées grasses de son abdomen.

          Je m’approchai de lui, sans savoir s’il me voyait, et posai mon doigt sur un bout de l’immensité de son ventre. Il explosa, et il y en eut partout.

Vendredi 10 juin 2011 à 19:37

          Le silence n’existe pas. La chaleur fait s’ouvrir les fenêtres des immeubles comme les fleurs d’un vieil arbre, et les oiseaux commencent pour chanter l’introduction du morceau barbare du réveil, suivis par les éboueurs qui passent avant le grand débarquement des autos du monde qui s’active. Rapidement avalé par la tempête, on entend parler, rire, éternuer, renifler, bailler, pisser, manger et s’arrêter en un rôt. L’honnêteté requiert qu’on assume de faire pareil, avec mille et une combinaisons : parler en baillant, éternuer la bouche pleine, renifler debout face à la cuvette, et rire grassement après un rôt. L’insoutenable tic et son acolyte, tac, rythment comme aux galères les gestes mécaniques jusqu’au sortir du travail, du cours, de la cellule, du parc et de la salle de sport.
          On retourne au point de départ, en martelant plus ou moins bruyamment le sol selon qu’on habite au rez-de-chaussée ou au treizième sans ascenseur, on jette ses chaussures en entendant les voisins le faire par les vitres béantes, on braille qu’ ‘’on est rentré ça va ?’’ à ceux qui sont déjà présents, ou un marmonne avec une belle flatulence qu’on se materait bien un film en bouffant les restes du frigo si on est seul.
           Les dernières heures avant l’extinction des feux remplissent les oreilles de musique, de murmures de feuilles tournées ou de la mitraille du clavier. Si l’on a quelqu’un à aimer, on écoutera ses soupirs appuyés avant de se rendre sans résister au sommeil, sinon, c’est ceux des voisines qui retarderont l’évènement, quand ce n’est pas une fête ou un autre candidat au repos qui hurle qu’il veut du silence bordel de putain de merde de nom d’une pipe qu’y en qui bossent enculés allez vous faire foutre je vais appeler les flics vous allez voir scrogneugneu. Peuvent rester comme derniers remparts les robinets, les chasses d’eau, les amoureux rentrés plus tard que prévu, les moustiques, les musiciens souls, les ivrognes qui ne savent jouer d’aucun instrument ou, sirènes hurlantes, les pompiers qui font la course avec l’ambulance et la police pour arriver les premiers à la même soirée qui commence à casser les couilles merde ça vous apprendra bande de cons ça va plus être possible hein la prochaine fois c’est moi qui viendrai et ça va barder connards. Et le réveil interromp le dernier bâillement d’épuisement.

Jeudi 12 mai 2011 à 20:19

          Une île déserte, ronde, de trois mètres de diamètre. Tooo et Messine sont assis côte à côte et regardent le large.

Tooo : Je ne connais pas de femme plus belle que vous. J'ai pourtant fait le tour de l'île des centaines de fois ! Peut-être que c'est parce que je ne connais que vous.

Messine : Vous dîtes ça parce qu'aucune autre n'est là pour vous l'entendre dire.

Tooo : Ne vous sous-estimez pas !

Messine : Ça n'a rien à voir.

Tooo : Vous me prenez pour un menteur ?

Messine : Je ne l'ai pas dit.

Tooo : Alors quoi que je vous dise, vous resterez froide.

Messine : Je sais très bien où vous voulez en venir. Me croyez-vous idiote ?

Tooo : Je ne l'ai pas dit.

Messine soupire en regardant la mer. Tooo fait le tour de l'île en cherchant quelque chose du regard.


Tooo : Non, rien à faire, vous restez la plus belle.

Messine soupire à nouveau.

Tooo : Il n'empêche qu'il faudra bien se décider.

Messine : Et bien, que voulez-vous ?

Tooo : Je ne peux pas choisir seul, ça nous concerne tous les deux.

Messine soupire.

Tooo : Bah ! nous finirons bien par nous décider sur celui qui mangera l'autre pour survivre.



Dimanche 20 mars 2011 à 22:56

"- Oh ! Comme la colline est belle ce matin, alors que le soleil se cache encore derrière elle. Les malins oiseaux savent déjà qu'il va venir. Quelle symphonie ! C'est une belle journée qui s'annonce !
- Tais-toi, ferme cette fenêtre !
- Que tu peux être grognon, viens donc voir par toi-même. Ah ! Quelle merveille, c'est si simple et pourtant si beau !
- Je t'ai dis de te taire, et de fermer cette...
- Bonjour, l'écureuil ! il est bien tôt et te voilà au travail, tu es si pressé et tout à ton affaire que tu ne m'a pas vue. Oh ! Avais-tu déjà remarqué que nous avions des truites dans le ruisseau ? Je me demande si je pourrai les attraper, avons-nous une épuisette?
- ...
- Et bien, tu ne t'es pas rendormi, quand même ? Tu es mort ? Et bien oui, mort. Quel gros malin tu fais, à t'être tranché la langue, enfin. Allez, nigaud, je vais au marché.

Samedi 15 janvier 2011 à 19:31

          Après concertation et édition d'une grande charte consultable dans la rue même, le comité des avis irréfutables de ce siècle a décidé que mac, c'était génial. Il faudra impérativement faire preuve de respect à tout ce qui y touche. De plus, concernant les domaines créatifs, il sera de bon ton de dire que l'on fait des hommages quand on copie.
          Ensuite, il sera nécessaire de fumer en répétant avec une assurance toute crédible que l'on va bientôt arrêter, il faudra adorer le monde de Tim Burton en éliminant froidement ceux qui y dérogeraient, dire de tous les foies gras qu'ils sont très bons, choisir les artistes que l'on aime, et ceux que l'on hait, uniquement parmi la cinquantaine proposée, choisir quatre ou cinq idéaux et les défendre bec et ongles, ne pas hésiter à en changer en fonction des situations, dire le plus tôt possible qu'avant ç'aurait été mieux, porter une fierté correcte voire encombrante et être capable de toujours la justifier, cracher sur son pays ou sur les étrangers pour pouvoir faire bien en toutes circonstances, connaître ses classiques, pas ceux des autres, et souligner, d'ailleurs, qu'ils sont tous cons.
          Il sera permis et même préférable d'avoir des problèmes, il y en a toute une palette mais ceux qui touchent à la psychologie seront bien plus gratifiant quoique ceux touchant au sexe marchent aussi très fort, qu'il faudra exposer comme des médailles en veillant bien à ce qu'elles brillent plus que celles des autres. Du personnel sera à votre disposition pour vous épancher. Il faudra s'efforcer d'acquérir des objets communs à la masse pour des raisons d'une part pratique, car tout le monde saura s'en servir, et logique, c'est forcément excellent, d'autre part, puis il deviendra automatique de cracher sur la génération d'avant en s'offusquant, les yeux tout ronds et la bouche grande ouverte, de la décadence de celle d'après. Ça s'est toujours fait, il y a des recettes qui marchent à long terme. Par contre, il serait idiot de remettre en question le comité des avis irréfutables de ce siècle puisque l'on se bat pour l'intégrer. Il y a un paradoxe, ici, oui. Ça fait très bien mais je n'ai pas de vie sociale.

Mardi 11 janvier 2011 à 0:52

          Née d'un chat angora et d'une pluie battante, Mairèze avait tout de la syncope. Elle fendait les plaines sur son char à pneu, mettait des livres dans ses lasagnes, ce qui faisait beaucoup rire sa marraine, comptait ses os pour un jour partir au ski avec son yucca adoptif et travaillait à la chaîne. Il y avait Mu-Rodrigue, qu'elle avait rencontré dans les tranchées, Etoototototo avec qui elle avait vécu un enfer sur une île déserte, et Mina qui lui disait chaque matin ; "mettre, mets, mis, c'est pourtant simple, il faut toujours" et elle s'arrêtait là. Ils étaient tout le temps ensemble, tous les quatre en se persuadant qu'ils étaient huit, et ça leur suffisait. Mu-Rodrigue a épousé Mina par amour pour ses meubles de jardin, et ils se sont rendus un jour compte que Etoototototo n'avait jamais quitté son île. Mairèze restait donc avec les quatre autres et ce manège dura quinze ans. Entre-temps il y eu des orages, des marchés aux puces et quelques invasions de moustiques aux premières chaleurs, mais rien qui n'eut pu entraver le cycle de sa digestion.
          Elle tomba enceinte par ennui et accoucha d'un bel enfant et d'une brouette un peu petite. L'outil fit de brillantes études et une carrière dans le chant lyrique, mais son frère eut moins de chance et devint simple chauffeur de canapé. Sa maternité permit à Mairèze de rencontrer Aude, une femelle lévrier qui habitait dans la banlieue de Mars et qu'elle croisait régulièrement devant la machine à dragibus de la clinique. De leur amitié naquit une passion pour les jeux de hasard et d'argent et Aude mourut d'un échec à la roulette russe.
          En rassemblant les draps blancs et quelques blouses, Mairèze créa Al-ibn-Roger, une sorte de poète en tissu sale pour qui elle accepta de changer de nom. Elle s'appela donc Y. C'était plus court et, donc, beaucoup plus pratique et ils célébrèrent cette idée lumineuse avec un bouquet d'arrosoirs en sucre. Ils moururent quatre ans plus tard de leur bonheur, et leurs corps firent place respectivement à un feu d'artifice et un pmu. La brouette écrivit d'ailleurs un sulfureux roman sur les amis de sa mère qui fit un tabac en Argentine.
 

Dimanche 9 janvier 2011 à 22:16

Ils feraient du ski sur la lune. Un vieux rêve d’enfant qu’ils avaient tous les deux parce qu’il aimait le ski et elle la lune. Leur histoire avait commencé sous la neige, il était esquimau et habitait un réfrigérateur à trois compartiments, avec un petit congélateur et un bac à œufs. Comme elle emménageait, elle avait acheté l’appareil, et lui avec. Les bières qu’il gardait dans le bac à légume eurent tôt fait de les enamouracher, et à chanter trop fort, ils avaient fait s’envoler le toit. Comme le frigo était resté ouvert, tout l’air s’est rafraîchi et il a neigé. Le lendemain, il lui passait un flocon au doigt, et ils déménagèrent pour un igloo en banlieue. L’ennui était qu’il faisait beaucoup trop chaud pour ce genre d’habitation, mais dans le grand nord ou le sud profond, on s’amusait bien moins qu’en ville. Il fallait une solution. Alors ils s’affairèrent à refroidir la Terre entière, peignant tout en blanc, dérobant des ventilateurs et fabriquant des glaçons à tour de bras. En quelques mois il fut courant de chasser le phoque à l’équateur, et lors d’une éclipse, la lune, qui n’en pouvait plus du soleil trop fort dans son dos se rapprocha de la Terre pour prendre l’air. Mais dans sa précipitation, elle s’écrasa sur la glace du Pacifique, qui céda sous son poids et la fit s’enfoncer un peu plus. Elle était prise au piège, et déjà on l’escaladait de partout, l’un à l’ancienne avec des cordes et des piolets, un autre plus téméraire en parachute. Les deux amants attendirent que les premiers téléphériques poussent sur le dos rond du satellite englouti, et, rondins à l’épaule, ils se construisirent un chalet sur les flancs d’un cratère exposé plein nord, en haut de centaines de kilomètres de descente immaculées. Mais le froid eu tôt fait d’envahir leur cœurs échauffés, et le doux crissement des spatules se fit peu à peu plus discret. Ils se laissèrent geler en pensant à l’éternité qu’ils pourraient y gagner, mais il n’y arriva pas, trop habitué qu’il était à la morsure de la glace. A mesure qu’elle se congelait, lui fondait en larmes, et leur chaleur la faisait se réchauffer. Le manège aurait pu durer longtemps si la lune agacée n’avait pas décidé de mettre un terme à son voyage. Elle s’extirpa de la glace et, à nouveau, exposa son dos au soleil, le visage bouffi et bienveillant tourné vers la Terre. Trop occupés qu’ils étaient à leur affaire de température, la jeune femme et l’esquimau n’eurent pas vent de la décision de l’astre, et s’y trouvèrent coincés. Mais on ne put savoir ce qu’il advint d’eux, car personne ne connaît la face cachée de la lune.

Mercredi 5 janvier 2011 à 23:25

          Chaque matin, Anette descendait dans la vallée pour acheter tantôt du lait chez la crémière, tantôt quelques oeufs frais pour son grand-père, avec qui elle habitait dans le petit chalet de bois accroché à la corniche. Elle mettait toujours ses petites chaussettes blanches et fredonnait une comptine que lui chantait sa mère quand elle était petite, le vent l'accompagnait et faisait danser avec elle les fleurs des champs. Elle aimait à courir sur les flancs de la montagne, panier au bras dans lequel quelque oiseau malicieux s'amusait parfois à se cacher. Les animaux de la forêt la suivaient jusqu'au village et l'attendaient pour remonter. Il faisait presque toujours beau dans ce petit monde, et si la pluie venait à tomber, c'était pour faire chanter les gouttes d'eau contre la fenêtre. Anette aimait beaucoup regarder les montagnes, avec des nuages accrochés dessus comme autant de couronnes de rois, et elle donnait aux massifs des noms fantastiques. Elle aurait aimé avoir toujours dix ans pour sauter sur les genoux de son bon grand-père qui riait sans jamais faire tomber sa pipe et coiffait soigneusement sa barbe, mais à cause de l'exode rural, elle a rejoint la capitale pour se prostituer afin de mourir d'overdose la gueule écrasée contre une bouche d'aération.

Lundi 3 janvier 2011 à 23:26

          C'est en rentrant des courses que j'ai trouvé le vieux raide dans son fauteuil, face à la fenêtre avec la couverture sur les genoux. En fait, ça ne changeait pas grand chose au tableau habituel, on ne l'entendait juste plus aspirer la salive qui lui coulait aux coins des lèvres. C'était bientôt Noël et comme j'avais oublié d'acheter le sapin, je l'ai entouré de guirlandes, lui ai accroché une boule à chaque oreille et lui ai fait tenir l'étoile sur le crâne avec un bricolage sur un serre-tête. Il clignotait rouge, vert et jaune, et je le tournai vers le salon pour que ce soit plus chaleureux. Les enfants rentrèrent et, tout pressés de raconter leur journée d'école, ils n'y prêtèrent pas attention. Tout comme leur mère, qui allait et venait dans la maison le nez plongé dans un catalogue de la Redoute que le père Noël aurait intérêt d'avoir consulté pour éviter un divorce. Elle se cogna la jambe contre le fauteuil, leva les yeux, et trouva que c'était très bien que papi fasse des fantaisies pour les fêtes.
          Au repas de Noël, il commençait à sentir un peu mauvais, mais on en conclut que ce devait être le saumon qui n'était pas si frais. Puis il avait toujours eu des soucis gastriques. Les enfants s'amusèrent à poser leurs cadeaux sur ses mains ouvertes à la tenaille à cause de la raideur mortifère. Ils criaient "papi Noël ! papi Noël !", et nous avons beaucoup ri ce soir-là.
          Après le jour de l'an, comme tout le monde, nous nous sommes résolus à le jeter dans la rue, car les mouches excitaient beaucoup trop le chat et qu'il commençait à salir les décorations. Une fois de plus, ç'avait été de bonnes fêtes en famille.

Dimanche 26 décembre 2010 à 12:23

          "Je vous le fais en taille standard, un mètre soixante-quinze tout pile, emballé dans du rayé bleu et blanc, un jean, vous avez le forfait "délavé-déchiré"? Allez pour vous c'est gratuit. Bon, pour le matos je lui colle un reflex, un blackberry, numéro au choix, deux ou trois trucs mac qu'il trimballera dans un sac en bandoulière. Pour les chaussures j'ai plus rien, mais faîtes un tour dans une friperie, ça suffira. Ah oui, achetez-lui des porte-clefs fantaisies, de quoi lui faire croire qu'il peut être un vrai drogué, et des lunettes avec des grosses montures si vous avez une bonne mutuelle. Apprenez-lui les mots "noctambule", "sexe", et "personnalité", puis des rudiments d'anglais, ça sera une bonne base. Laissez-le jouer à faire son numéro de "je veux mourir jeune". Vous avez un bon compte en banque, je pense qu'il est fait pour vous. Prévoyez un budget cigarettes, voire cigarillos, ça peut lui venir, comme ça, de quoi se passer ses lubies régulières et quelques honoraires de psychanalystes, pour l'aider à porter la dure réalité de la vie sur ses épaules de paresseux. Si vous voulez le changer de sexe c'est le même équipement. Oui, c'est pratique, je pense que c'est pour ça que je les vends si bien. Vous verrez, vous ne vous ennuierez pas avec ses utopies, ses caprices, et tous ses petits malheurs qui seront de vrais drames." Le vieux barbu sorti un gros stylo plume en or de son manteau et commença d'aligner les zéros sur son chèque. Mais sa femme, à côté, semblait soucieuse, elle regardait le produit avec une moue mauvaise pour mon affaire. Ils commencèrent à chuchoter entre eux et le chéquier se referma. "Beaucoup de nos amis ont déjà ce modèle, fit-elle, j'ai peur qu'il ne soit pas assez personnalisable." Et elle avait raison, ils ne pourraient avoir une influence assez forte pour en faire assurément quelque chose de fiable et d'autonome. Heureusement, ils étaient venus avec la ferme intention de ne pas rentrer bredouille.
          Rapidement, ils éliminèrent mes modèles basse consommation, débrouillards ou ceux avec des défauts de fabrication. Ils jetèrent finalement leur dévolu sur une jeune à la peau très noire, "ça nous donnera une belle image d'ouverture, dit-elle avec un grand sourire" mais ils revinrent sur l'attirail que je leur avait prévu au départ. Enfin je touchai le papier avec un gros chiffre bien autographié, et je ne manquai pas de leur dire à quel point j'étais satisfait de les avoir rendus heureux.
          Ils sortirent et tinrent la porte à une grosse femme en pantoufle, qui charriait d'un bras une poussette avec des jumeaux et portait un mouflet tout nu avec l'autre. Elle parlait très fort, et me rappela qu'elle venait récupérer une commande que j'avais intérêt d'avoir reçu parce qu'elle avait payé la moitié d'avance. J'ouvris le carton avec elle. Un modèle grande taille, rasé par mes soins, quelques petites cicatrices visibles, un ensemble jogging joliment assorti et une cigarette sur l'oreille. Quand il a craché sur le parquet, ça l'a convaincue, elle a jeté le reste du montant en chèque emploi service sur mon comptoir et toute la bande est repartie. La journée avait été bonne et je retournai le panneau "ouvert". Six-heures moins dix, j'ai éteins les lumières et j'ai pris une douche dans l'arrière-boutique. Assis dans le gros fauteuil derrière mon comptoir, je parcourais les titres du journal. Le carillon de la porte d'entrée tinta et elle apparut, la dernière cliente de la journée. Elle avait choisi une formule plus classique pour acheter un enfant. Elle laissa tomber son manteau, elle était nue dessous, et je baissai les stores.

Jeudi 2 décembre 2010 à 22:45

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Mardi 16 novembre 2010 à 12:58

          Dans le potager d'un grand-père, des escargots attendaient d'être bouffés par les autres maillons de la chaîne alimentaire. Ca se monte dessus, ça bave, la vraie vie quoi. Un matin, en voilà un qui naît avec des ailes, deux petites ailes sur la coquille. Quelques jours suffisent pour le voir sauter d'un légume à l'autre, et plus personne n'y fait attention, ça n'a rien d'extraordinaire.
          Dans la même rangée du même potager, un escargot impossible à distinguer des autres s'est mis à voler. Sans ailes. Il a plané de 8h56 à 15h12. Puis il est retombé. C'est ça l'extraordinaire.
          Et la goutte morale pour pas s'emmerder à chercher des sens cachés sous chaque mot : il faut être dans un moule pour pouvoir déborder, sinon, on se répand partout, on coule et tout part à l'égout.

Samedi 13 novembre 2010 à 23:28

          Tous les oiseaux du monde sont des connards, ils se pavanent avec leurs plumes pleines de terre et de merde, défient les nuages parce qu’ils n’ont rien à faire et vont roter leur haleine d’insecte accrochés à des branches comme des gros fruits qui attendent d’être assez mûrs pour s’écraser mollement sur le sol.
         
Tous les oiseaux du monde sont des fantasmes, ils éclaboussent nos yeux d’un carnaval de couleurs, tutoient le soleil en hommage à Icare et réveillent les tristes forêts de leurs chants angéliques qui font s’ouvrir les fleurs en répondant aux ruisseaux.
          Après c’est un choix.

Mardi 2 novembre 2010 à 21:32

Et
si
à
force
de me
moquer
du vent
      qui                                    tourne                             je               
finissais par me rendre compte que je ne suis qu'une girouette
    qui                                   
pointe                                             
là où
le vent
moqueur
la pousse sans cesse?

Mardi 2 novembre 2010 à 19:00

          Je vais repeindre en orange le pupitre dans ta petite tête pour y mettre des partitions écrites en arabe. Je fumerai des alouettes en t'imaginant nue pour te faire danser comme un sablier, et tu souffleras sur le cuir de mes os pour qu'il pleuve. On marchera à reculons jusqu'aux anneaux de Saturne pour y écrire des gros mots qui feront rêver les sacs poubelles.
         
          Peu à peu la nuit sera en rupture de stock et il faudra bien reconnaître que c'est pas faute d'avoir essayé. Alors une à une on collera sur le gazon des collections d'insectes pour stopper le temps qui roule en jaguar. Puis pas à pas les avis qui divergent finiront par moisir et je les remplacerai par des grandes statues en plâtre afin que tu continues à sauter sur mes genoux. Huître à huître, il fera noël trop tôt.
         
          Blanche-neige n'a jamais existé, et j'irai en prison pour négationnisme. Les frères Grimm ont toujours raison. Les frères Bogdanov postillonnent à tâtons dans la moutarde. Sœur Sourire épousera le Joker en brique de deux litres. Et tu cultiveras des potirons pour que je réapparaisse. Heureusement, ça marchera.
         
          Je regarde les volets fermés par la fenêtre en comptant les nombres premiers.

Mardi 19 octobre 2010 à 20:37

          Pose tes affaires, dénoue ton écharpe, quitte ton manteau. Enlève tes chaussures, ainsi que tes chaussettes, puis ouvre ton gilet. Jette-le, avec ton t-shirt, descend ton jean. Défais tes bijoux, fais voler tes collants et éteins ta clope. Détache tes cheveux, libère tes seins et offre ton sexe à la lumière. Efface ton visage, débarrasse-toi de tes bras et ôte donc tes jambes. Balance ton coeur, vire ton buste et enfin, tes hanches.
          Tu vois, t'es rien. Ramasse tout et casse-toi.

Dimanche 17 octobre 2010 à 16:13

Des ermites je tolère le choix, des parias je comprends la douleur.
Je hais la solitude et elle me le rend bien,
Jetant mes souvenirs pour quelques idées noires.
La politique de l'échec remonte sur le trône.

Incapacité à bouger, lion en cage ;
Juste un flux que je voudrais canaliser pour le jeter.
Dehors. Avec ses mauvais conseils. Ses sensations désagréables.

Les autres m'optimistent.

Je ne sais pas nager dans mon propre océan.
L'amitié est un échange ;
C'est faux c'est un besoin.
Besoin d'écrire comme d'autres
Fument.
Besoin d'aimer comme d'autres
Baisent.
C'est pulsionnel, pas sale.

C'est vrai comme pour chasser le faux ;
C'est faux comme pour masquer le vrai.

Je vous veux là tout le temps
Pour faire tourner la machine
Besoin d'un pilote.
Je suis un hétéromobile.

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