Baker

Cas clinique

Mercredi 13 octobre 2010 à 0:20

          "Léonce Petitcolin - marchand de blattes" disait ma carte. Les affaires marchaient fort, puisqu'une bonne maison doit avoir des cafards pour prouver qu'on a à manger. Puis pour montrer qu'on est assez riche pour les faire éliminer. Du lundi au dimanche, dans les rues, porte après porte, je vante la vigueur et la fécondité de mes insectes en bocaux. J'en ai même des colorés pour amuser les enfants, des gros pour les myopes et des musicaux pour des fêtes réussies.
         

          Ce soir-là j'avais beaucoup vendu, et il fallait que je rentre chez moi me réapprovisionner pour un marché de nuit, occasion en or pour tous les commerçants en nuisibles, que ce soit mes blattes ou des bibelots artisanaux. Mais devant la porte de l'immeuble, il y avait une joli plaque argentée qui disait "L'accès à l'immeuble est strictement interdit à tous colporteur, démarcheur,...". Je ne pouvais plus rentrer chez moi.

         La gardienne ne voulut rien savoir ! Alors que je lui avais vendu mes plus beaux insectes à un prix dérisoire, et qu'elle jouissait d'en trouver un tantôt dans un paquet de farine, tantôt sur son lit pendant l'amour ! Qui allait s'occuper de mes bébés dans leurs bocaux? Personne à présent. J'ai pu acheter quelques bouteilles avec l'argent du jour. J'ai tout bu, jour après jour, sur les poubelles de l'immeuble, en regardant courir des cafards de goutière, sans pedigree, l'antenne triste et les pattes tordues. Ma barbe a poussé, et j'ai dû manger mes vêtements pour survivre.
         
          Une nuit que j'allais engloutir mon cache-pudeur, une main me tendit une petite carte qui disait "Popol Bouchinet - marchand de miséreux". "C'est un marché en pleine expansion ! Quel quartier aujourd'hui n'a pas son mendiant? Je vous le demande ! Vous êtes en excellent état, vraie barbe, des ongles bien noirs, et pouah ! vous sentez déjà la vinasse ! Monsieur, au travail !". Et il me mit dans sa valise.

Dimanche 10 octobre 2010 à 14:28

          Matin. Toi et Moi.
"-Il s'appelle Octobre ! as-tu dis.
-Qu'est-ce qui t'as pris, je croyais que tu voulais un gosse?
-Ben ça sera un chien. Il est mignon, hein, regarde il m'aime déjà, oh oui tu es gentil, oui.
-Lâche-le un peu et va t'habiller, ta mère aime pas qu'on soit en retard.
-Oh oui ! on va le présenter à maman !"

          Midi. Toi, Moi, Lui.
"-Octobre ! as-tu crié.
-Oui?
-C'est marrant, hein, je t'appelle Octobre aussi comme ça quand j'appelle vous venez tous les deux !
-Non, y a que moi.
-Ah oui, il est au chiottes.
-J'attends depuis un quart d'heure.
-T'as qu'à prendre sa caisse.
-Très drôle, ai-je pensé accroupi au-dessus du sable."

          Soir. Toi, Lui, Moi.
"-Bon anniversaire, as-tu soupiré.
-Un collier avec une adresse, un os à mâcher et une balle de tennis neuve. Tu as fais des folies ma chérie.
-Et t'as pas vu le meilleur.
-Du vrai mou de veau dans une gamelle neuve !
-Plus grande que celle d'Octobre, t'es pas mon mari pour rien.
-Je pourrai dormir au pied du lit ce soir?
-Si tu ne fais pas les poubelles quand on sortira tout à l'heure, et que tu ne ronfles pas, Octobre est fatigué en ce moment."

          Nuit. Lui et Moi.
"-C'est moi qu'elle aime.
-Wouf !
-Ah ! T'as des crocs? Moi j'ai un flingue. Tiens.
-Kaï..."

          Matin. Toi et Moi.
"-C'est quand même triste qu'Octobre se soit enfui... as-tu répété.
-Oui.
-Mais j'ai une surprise : il s'appellera aussi Octobre !
-Un poisson rouge !"

J'ai peur.

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