Baker

Cas clinique

Dimanche 9 janvier 2011 à 22:16

Ils feraient du ski sur la lune. Un vieux rêve d’enfant qu’ils avaient tous les deux parce qu’il aimait le ski et elle la lune. Leur histoire avait commencé sous la neige, il était esquimau et habitait un réfrigérateur à trois compartiments, avec un petit congélateur et un bac à œufs. Comme elle emménageait, elle avait acheté l’appareil, et lui avec. Les bières qu’il gardait dans le bac à légume eurent tôt fait de les enamouracher, et à chanter trop fort, ils avaient fait s’envoler le toit. Comme le frigo était resté ouvert, tout l’air s’est rafraîchi et il a neigé. Le lendemain, il lui passait un flocon au doigt, et ils déménagèrent pour un igloo en banlieue. L’ennui était qu’il faisait beaucoup trop chaud pour ce genre d’habitation, mais dans le grand nord ou le sud profond, on s’amusait bien moins qu’en ville. Il fallait une solution. Alors ils s’affairèrent à refroidir la Terre entière, peignant tout en blanc, dérobant des ventilateurs et fabriquant des glaçons à tour de bras. En quelques mois il fut courant de chasser le phoque à l’équateur, et lors d’une éclipse, la lune, qui n’en pouvait plus du soleil trop fort dans son dos se rapprocha de la Terre pour prendre l’air. Mais dans sa précipitation, elle s’écrasa sur la glace du Pacifique, qui céda sous son poids et la fit s’enfoncer un peu plus. Elle était prise au piège, et déjà on l’escaladait de partout, l’un à l’ancienne avec des cordes et des piolets, un autre plus téméraire en parachute. Les deux amants attendirent que les premiers téléphériques poussent sur le dos rond du satellite englouti, et, rondins à l’épaule, ils se construisirent un chalet sur les flancs d’un cratère exposé plein nord, en haut de centaines de kilomètres de descente immaculées. Mais le froid eu tôt fait d’envahir leur cœurs échauffés, et le doux crissement des spatules se fit peu à peu plus discret. Ils se laissèrent geler en pensant à l’éternité qu’ils pourraient y gagner, mais il n’y arriva pas, trop habitué qu’il était à la morsure de la glace. A mesure qu’elle se congelait, lui fondait en larmes, et leur chaleur la faisait se réchauffer. Le manège aurait pu durer longtemps si la lune agacée n’avait pas décidé de mettre un terme à son voyage. Elle s’extirpa de la glace et, à nouveau, exposa son dos au soleil, le visage bouffi et bienveillant tourné vers la Terre. Trop occupés qu’ils étaient à leur affaire de température, la jeune femme et l’esquimau n’eurent pas vent de la décision de l’astre, et s’y trouvèrent coincés. Mais on ne put savoir ce qu’il advint d’eux, car personne ne connaît la face cachée de la lune.

Dimanche 9 janvier 2011 à 22:02

          "Hé dis, on va à Nîmes, comme ça, pour prendre l'air"? Oui, S.. Et dans une petite voiture couleur danette, on a pris la route.
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Autoroute
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Inventaire:
-Les Arènes : "mais comment ils ont fait pour mettre des cailloux neufs entre les vieux?", "j'ai la dalle, j'ai pas mangé depuis... depuis six heures !",
-la maison carrée, "mais il est où le carré?", "c'est quoi ce trou?",
-le carré d'Art, "oh, c'est une crotte, regarde", "putain, ça fait peur", "moi aussi j'peux l'faire t'sais", "ça rentrerait dans aucune pièce à la maison, c'est fou", "t'as vu, c'est une photo de buissons dans l'eau ! C'est dingue quand même, des bui-ssons... dans l'eau ! raaah mais c'est bien les mecs, ça, tu te poses jamais des questions. Pfffff",
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Averse
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-le café carré, "oh que j'ai soif, c'est fou, j'ai jamais eu aussi soif, tu prends un café? Prends un verre d'eau je le boirai. Ah mais que j'ai soif",
-le jardin de la fontaine "c'est glauque", "non pas par là c'est flippant", "oula, vas-y tout seul",
-avenue Jean Jaurès "il va le faire, mais oui ! au pire t'auras ton euro", "elle est comme ça, faut faire gaffe",
-pyramide au morts "tu crois qu'ils leur ont ont coupé les bites?", "on a fait quoi? ... Trois kilomètres? Noooooon.",

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Base
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Vendredi 7 janvier 2011 à 9:18

          C'est une maladie génétique transmise par le père, développée pendant l'enfance, et dont les symptômes sont ressentis depuis un bon moment. A chaque fois que je m'en défais, il lui suffit de quelques mots pour la rechute. Construire une image de monstre, de montagne pendant des années lui aura été facile mais tout le monde y perd. Avec la fatigue, l'alcool ou l'ennui c'est lui qui parle, qui réfléchit et qui agit. Ou ce n'est qu'une impression, car il sait très bien cultiver la peur et la paranoïa, en endormant avec une fausse compréhension pour mieux frapper. Il n'a jamais tort et moi non plus. Pourtant on ne tombe plus d'accord depuis longtemps. Je continue de me faire avoir, bien en dehors de ça, car il m'y a habitué. Il faudrait sauter six mois d'un coup. Ce n'est pas possible? A ce soir alors.

Mercredi 5 janvier 2011 à 23:25

          Chaque matin, Anette descendait dans la vallée pour acheter tantôt du lait chez la crémière, tantôt quelques oeufs frais pour son grand-père, avec qui elle habitait dans le petit chalet de bois accroché à la corniche. Elle mettait toujours ses petites chaussettes blanches et fredonnait une comptine que lui chantait sa mère quand elle était petite, le vent l'accompagnait et faisait danser avec elle les fleurs des champs. Elle aimait à courir sur les flancs de la montagne, panier au bras dans lequel quelque oiseau malicieux s'amusait parfois à se cacher. Les animaux de la forêt la suivaient jusqu'au village et l'attendaient pour remonter. Il faisait presque toujours beau dans ce petit monde, et si la pluie venait à tomber, c'était pour faire chanter les gouttes d'eau contre la fenêtre. Anette aimait beaucoup regarder les montagnes, avec des nuages accrochés dessus comme autant de couronnes de rois, et elle donnait aux massifs des noms fantastiques. Elle aurait aimé avoir toujours dix ans pour sauter sur les genoux de son bon grand-père qui riait sans jamais faire tomber sa pipe et coiffait soigneusement sa barbe, mais à cause de l'exode rural, elle a rejoint la capitale pour se prostituer afin de mourir d'overdose la gueule écrasée contre une bouche d'aération.

Mercredi 5 janvier 2011 à 0:43

          Dieu était comme Pinocchio ou Barbe Noire. En face, il était comme une philosophie de la vie. Alors avec trois demis, égalité, on aura fait la fermeture de ce bar qui n'est plus l'ancien. C'était déjà et enfin un nouveau jour, elle avait un vélo et je n'ai pas vomi.

Lundi 3 janvier 2011 à 23:26

          C'est en rentrant des courses que j'ai trouvé le vieux raide dans son fauteuil, face à la fenêtre avec la couverture sur les genoux. En fait, ça ne changeait pas grand chose au tableau habituel, on ne l'entendait juste plus aspirer la salive qui lui coulait aux coins des lèvres. C'était bientôt Noël et comme j'avais oublié d'acheter le sapin, je l'ai entouré de guirlandes, lui ai accroché une boule à chaque oreille et lui ai fait tenir l'étoile sur le crâne avec un bricolage sur un serre-tête. Il clignotait rouge, vert et jaune, et je le tournai vers le salon pour que ce soit plus chaleureux. Les enfants rentrèrent et, tout pressés de raconter leur journée d'école, ils n'y prêtèrent pas attention. Tout comme leur mère, qui allait et venait dans la maison le nez plongé dans un catalogue de la Redoute que le père Noël aurait intérêt d'avoir consulté pour éviter un divorce. Elle se cogna la jambe contre le fauteuil, leva les yeux, et trouva que c'était très bien que papi fasse des fantaisies pour les fêtes.
          Au repas de Noël, il commençait à sentir un peu mauvais, mais on en conclut que ce devait être le saumon qui n'était pas si frais. Puis il avait toujours eu des soucis gastriques. Les enfants s'amusèrent à poser leurs cadeaux sur ses mains ouvertes à la tenaille à cause de la raideur mortifère. Ils criaient "papi Noël ! papi Noël !", et nous avons beaucoup ri ce soir-là.
          Après le jour de l'an, comme tout le monde, nous nous sommes résolus à le jeter dans la rue, car les mouches excitaient beaucoup trop le chat et qu'il commençait à salir les décorations. Une fois de plus, ç'avait été de bonnes fêtes en famille.

Lundi 3 janvier 2011 à 12:23

          Nouvelle année mais vieilles habitudes : on a encore fait la fête au bureau pour les quarante-quatre ans de N., Mme B. est en arrêt maladie, il y a un sandwiche au pâté dans mon sac et les étudiants sont fous. Pèle-mêle, les cas de ce monsieur qui depuis sa naissance n'a pas de prénom, même sur sa carte d'identité, ou celui de mademoiselle B. qui a pour prénom Pierre, ou encore le classique de l'étudiant qui exige qu'on lui donne un diplôme malgré un superbe 8,74 de moyenne aux épreuves. Y en a qui font ce boulot depuis quarante ans, et ça permet de mieux comprendre les goûters et fêtes quotidiens. C'est pas de la paresse, c'est de l'ennui véritable, et la première chose qu'on acquiert, c'est la capacité de bailler trente fois à la minute  car de toute la journée, j'aurais fait, en boucle : "nom", entrée, "prénom", entrée, entrée, entrée, entrée, entrée, "date de naissance", entrée, 3,2,2, entrée, "ville de naissance", entrée, entrée, entrée, 2,0,1,0, entrée, entrée, entrée, "année d'obtention", entrée, 0,0,3,1, entrée, Suivant, entrée, S, /, C, espace, B, P, espace, 1, 2, 4, 8, 9, espace, D, O, U, A, L, A, entrée, entrée, 3, 2, 2, entrée, C, A, M, E, R, O, U, N, entrée, 5, maj+sto, 1, Suivant, 1, 0, 1, entrée, 8,2, entrée, 9,9, entrée, 8,2, Suivant, entrée, 1, 0, entrée, 3, 2, 2, entrée, 2, 0, 0, 9, entrée, u, entrée, 5, 0, 0, entrée, 3, 2, 2, entrée, 2, 0, 0, 9, entrée, entrée, entrée, entrée, 1, 0, entrée, g, l, e, c, v, 8, Accepter, Suivant, Affiliation, cocher Dispense autre régime, Couverture SS, Suivant, Saisir paiement, v, i, i, 1, 5, 9, ., 0, 0, Retour, Valider, Ok, Ok, Ok, Imprimer, Ctrl+p, flèche du haut, flèche du haut, flèche du haut, sto, entrée, sto, flèche du bas, flèche du bas, flèche du bas, entrée, entrée. De l'ennui pour de vrai. Mais payé au smic.

Dimanche 2 janvier 2011 à 19:13

I. Le 29 ter

          "-Pour ton anniversaire j'avais pas prévu de débourser autant pour le repas. Les chèques, tu les as encaissés? Parce que celui de mamie, il était à mon nom ou au tien? Puis y avait aussi les cadeaux pas prévus, et c'est moi qui les ai payés.
-Bon ben donne-moi un ordre et puis c'est tout...
-Mais je dois te rembourser ce que je te dois, le bafa, la voiture,...
-Fais la déduction et puis on règle tout d'un coup.
-Ah mais non, je te fais le virement d'abord puis tu me fais un chèque parce que sinon il va encore faire tout un cirque !
-Et c'est pas un cirque, là?"

II. Le 28

          "-Elle t'a bien remboursé les fringues? Bon. Et le bafa aussi? D'accord. Donc dis-moi combien je dois, moi.
-Je sais pas, elle te l'a pas dit? C'est 97 et 165, je crois.
-T'es pas sûr, parce qu'après elle fait tout un cinéma ! Et l'assurance, qui c'est qui s'en occupe?
-Je le ferai.
-Et quand, hein? Faut te dépêcher, là ! Bon je te paierai quand tout sera réglé, hein, tout d'un coup comme ça y aura pas de problème. Et t'as qu'à moins sortir pour pas manquer. Tu restes ici cette semaine, hein?
-Ben non...
-Ah bon? C'est pas fini, encore? Fais comme tu veux, tu décides, si tu veux vraiment plus me voir, hein, t'as le droit. Mais L. le vit mal tout ça. Enfin, bon, t'es grand, salut."

III. La seconde génération

          "-Tu vas encore rien m'acheter pour Noël?
-Je t'achète toujours un truc à Noël.
-Ah ouais, ah ouais? C'est quoi le dernier truc que tu m'as offert?
-Dis-le moi, toi, pour voir?
-Euh... Je sais pas... Mais en attendant je sais que tu m'offriras rien. Et pour le cadeau de maman, moi j'ai plus de sous.
-Tu t'es vraiment pas trompée de famille..."


          Le problème du fric c'est d'en avoir assez pour les autres?

Dimanche 2 janvier 2011 à 0:10

          C'est un petit jeu tout bête, qui amuse beaucoup les enfants. Une ronde est formée par les pêcheurs, et ils comptent à voix haute. Les poissons rentrent et sortent du cercle. Quand le nombre prédéfini est atteint, les pêcheurs s'accroupissent et les poissons encerclés ont perdu. Les petits poissons font confiance aux pêcheurs, tentent le diable en se disant qu'ils ont le temps de faire un dernier petit tour mais finissent coincés et jurent de ne plus se faire prendre dans les parties suivantes. Ils se feront quand même avoir, même si le chiffre reste le même d'un coup sur l'autre. La seule solution, c'est de devenir pêcheur mais ça ne s'invente pas,  c'est inné, et on continue de mordre les hameçons sans vers dessus.
          A l'image du cadeau, ces vacances. J'aurai fait le titre et la quatrième de couverture d'un bouquin vide. Si seulement il n'y avait que le vieux.

Jeudi 30 décembre 2010 à 20:05

          La fin était pour aujourd'hui. F. m'a dit que j'étais très satisfaisant et ça m'a suffi. Ils ont gagné la chasse aux énigmes. Puis le groupe est allé fêter ça. Seulement 14 personnes qui se voyaient pour la plupart pour la dernière fois en criant "faut trop qu'on s'fasse un truuuuuc !" Par chance, E. est une fille géniale qui veut me défier à la boisson dans la semaine, elle aussi accroc au VA. L. m'a offert une écharpe pour le covoiturage, puis elle est repartie à Nîmes. Vivement l'ALSH.

Jeudi 30 décembre 2010 à 1:16

          Au stage bafa, il a fallu monter un spectacle d'une heure en une demi-journée. Les feignants, les immatures, les vulgaires, les vieux, les trop investis et les là par hasard sont tous montés dans le même bateau pour pondre un truc potable. Un groupe obéit souvent à des règles strictes : création de clans de cinq maximum, dictature de celui qui crie le plus fort et hypocrisie car on doit absolument tous rester de sacrément bons copains. Ça a été un massacre. Ça pleurait à droite parce que les robes en papier crépon se déchiraient rien qu'en éternuant, ça gueulait des salopes et des putes pour la robe de princesse qui a été utilisée pour plusieurs numéros et en réunion la veille, F. a dit qu'elle mettait sa main à couper qu'après ça on serait vachement plus soudés. Elle va devoir apprendre à écrire de la main gauche.

Mardi 28 décembre 2010 à 23:16

http://baker.cowblog.fr/images/LauraHerts.jpg
          Laura Herts fait du clown. Elle marche sans avancer, à un visage en caoutchouc et passe autant de temps dans la salle que sur la scène. J'ai vécu une grande histoire d'amour à Paris avec elle, parce que son mari, Harry, l'avait abandonnée. On a dansé avec la poursuite dans la figure, elle m'a mis la main aux fesses puis m'a tiré dans les coulisses où elle m'a mis torse nu avant de balancer mes fringues sur les planches en hurlant de plaisir. Puis j'ai ramassé mon haut en allant me rassoir sous les fous rires qui se calmaient. Elle a compris que notre amour était impossible en voyant ma voisine de gauche. Donc elle a craché de l'eau, jeté des confettis, s'est maquillée, est passée seins nus, mimé des millions de choses, boudé, fait le grand écart et nous a fait pisser de rire. C'est du spectacle de très haut niveau.

Lundi 27 décembre 2010 à 1:48

          Ça c'est liquide et je contrôle plus rien. Animation Nature, putain, ça promet.

Dimanche 26 décembre 2010 à 12:23

          "Je vous le fais en taille standard, un mètre soixante-quinze tout pile, emballé dans du rayé bleu et blanc, un jean, vous avez le forfait "délavé-déchiré"? Allez pour vous c'est gratuit. Bon, pour le matos je lui colle un reflex, un blackberry, numéro au choix, deux ou trois trucs mac qu'il trimballera dans un sac en bandoulière. Pour les chaussures j'ai plus rien, mais faîtes un tour dans une friperie, ça suffira. Ah oui, achetez-lui des porte-clefs fantaisies, de quoi lui faire croire qu'il peut être un vrai drogué, et des lunettes avec des grosses montures si vous avez une bonne mutuelle. Apprenez-lui les mots "noctambule", "sexe", et "personnalité", puis des rudiments d'anglais, ça sera une bonne base. Laissez-le jouer à faire son numéro de "je veux mourir jeune". Vous avez un bon compte en banque, je pense qu'il est fait pour vous. Prévoyez un budget cigarettes, voire cigarillos, ça peut lui venir, comme ça, de quoi se passer ses lubies régulières et quelques honoraires de psychanalystes, pour l'aider à porter la dure réalité de la vie sur ses épaules de paresseux. Si vous voulez le changer de sexe c'est le même équipement. Oui, c'est pratique, je pense que c'est pour ça que je les vends si bien. Vous verrez, vous ne vous ennuierez pas avec ses utopies, ses caprices, et tous ses petits malheurs qui seront de vrais drames." Le vieux barbu sorti un gros stylo plume en or de son manteau et commença d'aligner les zéros sur son chèque. Mais sa femme, à côté, semblait soucieuse, elle regardait le produit avec une moue mauvaise pour mon affaire. Ils commencèrent à chuchoter entre eux et le chéquier se referma. "Beaucoup de nos amis ont déjà ce modèle, fit-elle, j'ai peur qu'il ne soit pas assez personnalisable." Et elle avait raison, ils ne pourraient avoir une influence assez forte pour en faire assurément quelque chose de fiable et d'autonome. Heureusement, ils étaient venus avec la ferme intention de ne pas rentrer bredouille.
          Rapidement, ils éliminèrent mes modèles basse consommation, débrouillards ou ceux avec des défauts de fabrication. Ils jetèrent finalement leur dévolu sur une jeune à la peau très noire, "ça nous donnera une belle image d'ouverture, dit-elle avec un grand sourire" mais ils revinrent sur l'attirail que je leur avait prévu au départ. Enfin je touchai le papier avec un gros chiffre bien autographié, et je ne manquai pas de leur dire à quel point j'étais satisfait de les avoir rendus heureux.
          Ils sortirent et tinrent la porte à une grosse femme en pantoufle, qui charriait d'un bras une poussette avec des jumeaux et portait un mouflet tout nu avec l'autre. Elle parlait très fort, et me rappela qu'elle venait récupérer une commande que j'avais intérêt d'avoir reçu parce qu'elle avait payé la moitié d'avance. J'ouvris le carton avec elle. Un modèle grande taille, rasé par mes soins, quelques petites cicatrices visibles, un ensemble jogging joliment assorti et une cigarette sur l'oreille. Quand il a craché sur le parquet, ça l'a convaincue, elle a jeté le reste du montant en chèque emploi service sur mon comptoir et toute la bande est repartie. La journée avait été bonne et je retournai le panneau "ouvert". Six-heures moins dix, j'ai éteins les lumières et j'ai pris une douche dans l'arrière-boutique. Assis dans le gros fauteuil derrière mon comptoir, je parcourais les titres du journal. Le carillon de la porte d'entrée tinta et elle apparut, la dernière cliente de la journée. Elle avait choisi une formule plus classique pour acheter un enfant. Elle laissa tomber son manteau, elle était nue dessous, et je baissai les stores.

Samedi 25 décembre 2010 à 12:15

          On devait être trois, pour la première fois en cette occasion car jamais nous n'avions été moins de dix. Mais à cause d'un mort, d'un chaud lapin, de deux boudeurs, de deux faux-culs grippe-sous, d'une fille non-reconnue et enfin d'une divorcée, les chiffres étaient brouillés. Mais à 18h30, la sonnette a interrompu une engueulade naissante. C'était l'oncle queutard à qui le coup du soir avait fait faux-bond avec le vieil alcoolique chez qui on fait régulièrement du tarot. Deux têtes de plus n'étaient pas gênantes, pour les repas on prévoit large et ils avaient amené du vin. L. a fait un scandale pour ouvrir ses cadeaux à l'apéro puis est partie jouer avec jusqu'au repas. Manger, tarot, ivresse, au revoir. Résultat de la première session : un singe à cravate et un billet vert.
          A peine le temps de cuver qu'on est à nouveau à table, le sapin est plus grand et il y a plus de monde. Le repas dure un siècle et l'ambiance est meilleure de ce côté là. Peut-être parce qu'il y a plus de cadeaux. Des réflexions parce que je mange comme quatre en arrosant au même niveau. C. et V. me ramènent et pour la première fois depuis un mois la serviette verte s'est dépliée, le futon s'est rouvert et je Lui ai fait la bise. Il croit que ça va repartir comme avant, ça doit être génétique le fait de ne pas retenir les leçons.

Mercredi 22 décembre 2010 à 23:51

          Les fêtes sont déjà là, elles tambourinent à la porte mais on a jeté la clef. Elles se lasseront vite. Oui, car elles se lassent toujours vite. Elles passent d'abord furtivement derrière les fenêtres, en attendant qu'on les remarque, et on leur offre à manger. Parfois elles entrent, si elles savent passer entre les barreaux, et on en profite dans le salon. Elles fatiguent et finissent souvent au lit. Mais rapidement, alors qu'on ne fait plus attention depuis longtemps, elles trouvent la moquette sale, les tapisseries affreuses, et dans leur fuite elles en arrachent des morceaux qu'elles agitent de l'extérieur. Usés de les voir et d'avoir en tête leurs souvenirs, on teinte les vitres, les barreaux cèdent leur place à des parpaings et on éteint toutes les lumières. Pendant un long moment, on croira les entendre frapper contre les murs pour voir si on est toujours à l'intérieur, alors qu'elles seront depuis longtemps parties. Elles sont uniques, et on ne peut pas penser que ce soient d'autres qu'elles qui tapotent le ciment fissuré. Et pourtant, chaque année elles sont nouvelles et si on ne fait pas attention, elles vont de mal en pis. Et nous avec, car au fond on n'y aura pas gagné plus que des cuites et des maux de ventres.

Lundi 20 décembre 2010 à 20:16

          Rendez-vous à dix heures à Celleneuve. Arrivés à moins vingt avec l'étrange B., elle a voulu m'offrir un café en retour du covoiturage. Quelle chance ! Elle connaissait bien le coin, et nous voilà assis dans le PMU le plus dégueulasse de la ville. On ne voyait presque pas l'eau à travers le verre. Assis à une table voisine, un vieux mâchait dans le vide en bougonnant, sous le regard mort des quadras aux gueules burinées qui tétaient leurs demis du matin, perchés comme des corbeaux déjà crevés sur leurs tabourets. Le patron feuilletait l'Equipe en jetant de temps à autre un œil à sa possible femme, une espèce de grosse maquerelle qui dégoulinait de sa chaise. Une petite queue devant le Rapido qui affichait mollement ses tirages. On ne parle pas là-dedans, on murmure. C'est l'église des usés.
          L'étrange B. aime ce genre d'endroit, car elle aime les courses, et "qu'le seul endroit sur terre où tu peux trouver un bon tuyau pour les ch'vaux, ou mêm' une bonn' boulanj'rie c'est les PMU, t'vois?". L'étrange B. cligne tout le temps des yeux, regarde subitement à droite ou à gauche, parle en pesant chacun de ses mots, se confond en excuse pour un rien et à des tonnes de malheurs à raconter, emmitouflée dans sa doudoune orange. Bien sûr, c'est moi sur les dix qu'elle a appelé pour faire du covoiturage, j'attire les tarés mais on ne juge pas, attention. Ô désolation de l'humain, ô décrépitude faîte femme, que notre siècle est tombé bas. Cependant, F. est belle à en mourir avec son chapeau tigre.

Dimanche 19 décembre 2010 à 17:32

          Il neigeait fondu au lever, et à être trempé, autant le faire dans le grand bassin. Après avoir ramené l'épave et mangé à la plus maison où L. croît régner en maître et qui ne sait que froncer les sourcils en silence. Dans les vestiaires, j'ai croisé M. D. venu faire fondre son gras. Il ne m'a pas reconnu, après pourtant six mois de plage de Palavas ou de jardin des plantes. Le bâtiment venait juste d'ouvrir et neuf des dix lignes étaient occupées par un barboteur. J'ai plongé seul dans la ligne zéro, un peu trop de circonstance à mon goût. Je n'aime pas ceux qui doublent, ceux qui éclaboussent et ceux qui fixent les bites et les seins, alors après une distance de bonne conscience, j'ai cuit dans le bouillon en comptant les carreaux du plafond.

Vendredi 17 décembre 2010 à 14:48

          Brouhaha dans le couloir. Une femme et un homme. Presque tout l'étage est déjà parti en vacances et personne n'y prête attention. L'ennui me pousse à aller voir. C'était I., en compagnie d'un petit étudiant à lunettes, chétivement emballé dans un manteau noir trop grand qui lui descendait jusqu'aux chevilles. Il répétait : "mais écoutez-moi, écoutez-moi...". Et elle, comme un disque rayé : "Non, non, non,...". La scène était amusante et commençait à dégénérer. Il lui a pris le bras, et j'attendais de la voir lui foutre une claque. Mais elle tardait à le faire et le ton montait gentiment. Elle : "c'est trop tard !", lui : "mais écoutez-moi !", "vous êtes un psychopathe, jeune homme !", "non, ce n'est pas ça un psychopathe, madame. Un psychopathe, c'est quelqu'un qui harcèle les gens. Moi, je suis pas un psychopathe, non, non", "lâchez-moi !". Alors j'ai joué au héros. "Y a un problème, I. ?", "oui, il veut s'inscrire et c'est bien trop tard !". Il s'énerve : "mais j'ai eu des prô-blêê-meuh ! laissez-moi m'inscrire, vous comprenez ? Vous avez pas le droit ! J'ai eu des prôblêmeuh !". "Tu la lâches et tu dégages.". Il l'a fait et j'étais fier. On l'a entendu cracher un petit " n'reviendrai" de vaincu et on est allé finir le gâteau qui restait dans son bureau.
          Quelques minutes plus tard, le téléphone a braillé. A l'autre bout, une jeune femme qui m'a
très sérieusement expliqué qu'elle voulait s'inscrire pour devenir manager, sans le bac mais avec quand même un cap serveuse. Avant que j'ai eu le temps de l'envoyer bouler, elle a enchaîné en disant qu'elle désirait que je m'occupe personnellement de sa situation et a demandé mon nom. Je le lui ai donné : "Jafar Baker", et elle l'a gobé. Puis elle m'a donné ses nom, prénom et numéro que j'ai mis à la poubelle avant même d'avoir raccroché, je n'aime pas les princesses.
          Tout va bien en cette fin d'année.

Vendredi 17 décembre 2010 à 11:41

          Bébé est trop petit pour ouvrir la porte et comme à partir d'un mètre quatre-vingt on ne fait plus de caprice en se roulant par terre, je refais des provisions pour six nouveaux mois de traversée du désert. On réussit quand on se bouge le cul, n'écoutez pas mes chéris, car vous serez plus déçus que si vous n'aviez rien fait. Au moins, on en parlera pas au souper, le 24.

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