Baker

Cas clinique

Vendredi 25 mars 2011 à 10:14

I. Bureau 410

"- Oh lala, je suis débordée avec toutes ces conventions. Baker, quand tu auras du temps, tu pourras t'en occuper, parce que je dois aller en réunion?
-J'ai du temps, là.
-Oh merci, vraiment !"

Et depuis, F. peut marcher d'un pas rapide et décidé d'un bout à l'autre du couloir pour avoir l'air surbookée.

II. Bureau 411

"-Baker, tu t'occupes des conventions de F. ? Parce que tu m'es assigné cette semaine, finis d'abord les miennes.
-Je les ai déjà finies.
-Ah, bien. Mais j'en ai quelques autres en plus, là. Et il faut penser à finir la préparation du concours, tu as édité les sujets, réparti les surveillants, et pensé à...
-Oui, c'est réglé.
-Termine mes conventions alors. Quoi ? Quatre-vingt mails? Mais je n'aurais jamais le temps et en plus je dois filer en réunion. Tiens ! B. ! Tu es rentré du Maroc ? Alors c'était bien ? Oh, tu m'as ramené des pâtisseries, formidable ! Je vais les faire gouter à tout le monde tiens, la réunion, j'y arriverai un peu en retard, faut pas déconner, hein."

Et depuis, S. s'agite d'un bureau à l'autre, une boîte à la main, en semant ses gâteaux.

III. Salle 301

Entrent Monsieur C. et Madame grande brune
" Madame grande brune : Baker, Baker, Baker ! C'est la catastrophe !
Monsieur C. : Oh oui ! Vraiment ! Il faut que tu nous sauves:
Ensemble
On a besoin que tu surveilles un examen de licence trois ce matin.
Baker : Je veux bien, mais j'ai les conventions de F. et S. à rentrer.
Monsieur C. : Il y a un ordi dans la salle trois cents un. On s'est embrouillés, chacun pensait que l'autre allait s'en occuper et au final on doit aller tout les deux en réunion, et du coup on ne peut pas surveiller parce que...
Baker : D'accord, d'accord, mais me faire surveiller des gens qui ont cinq ans de plus que moi, c'est pas un peu ridicule?
Les deux ensemble : Mais non ! Ah ! Tu es notre sauveur !
Monsieur C. : L'épreuve commence à neuf heures trente, je t'ai laissé les sujets sur une des tables."

Et depuis, tous les deux ont pu "aller en réunion", comme tout le monde, tous les jours, et toute la journée.

Dimanche 20 mars 2011 à 22:56

"- Oh ! Comme la colline est belle ce matin, alors que le soleil se cache encore derrière elle. Les malins oiseaux savent déjà qu'il va venir. Quelle symphonie ! C'est une belle journée qui s'annonce !
- Tais-toi, ferme cette fenêtre !
- Que tu peux être grognon, viens donc voir par toi-même. Ah ! Quelle merveille, c'est si simple et pourtant si beau !
- Je t'ai dis de te taire, et de fermer cette...
- Bonjour, l'écureuil ! il est bien tôt et te voilà au travail, tu es si pressé et tout à ton affaire que tu ne m'a pas vue. Oh ! Avais-tu déjà remarqué que nous avions des truites dans le ruisseau ? Je me demande si je pourrai les attraper, avons-nous une épuisette?
- ...
- Et bien, tu ne t'es pas rendormi, quand même ? Tu es mort ? Et bien oui, mort. Quel gros malin tu fais, à t'être tranché la langue, enfin. Allez, nigaud, je vais au marché.

Vendredi 18 mars 2011 à 0:17

          Tandis que dehors il Saint-Patricke, Cupidon tire au lance-roquette, fait naturellement tout péter, et il y a des morceaux partout, des dents dans le cou, du cœur sur le mien, de la bave sous le lit et des pieds au cul. C'est le big-bang.

Lundi 14 mars 2011 à 15:50

          Aujourd'hui, le nouveau bureau est immense, il a de beaux pots à crayons remplis de stylos neufs, une élégante lampe de bureau étend son coup en métal designed au-dessus d'un sous-main qui porte avec fierté un monstrueux téléphone avec des milliards de boutons, des classeurs disciplinés se tiennent bien verticaux à droite de l'écran tandis qu'à gauche une humble petite étagère à trois niveaux porte, fébrile, quelques feuilles égarées. Des dossiers non-traités attendent sagement de l'être sur la pointe du "L" formé par le bois luisant posé sur de massifs pieds en acier qui cachent pudiquement leurs tiroirs à merveilles pleins d'agrafes, de post-its et de trombones colorés. La souris galope sur son tapis aux couleurs de l'université en suivant la musique mécanique du clavier. Un cactus discret pousse à la lumière blafarde des néons qui recouvre les murs blancs où de simples photos encadrées de coquelicots, de chats, de villages péruviens et d'amoureux sur un quai de gare, s'alignent pour réchauffer le cœur de l'étudiant perdu à la recherche du formulaire qui lui ouvrira les portes d'un avenir certain porteur d'un salaire confortable qui lui permettra de nourrir sa famille qui chaque soir l'accueillera sourire aux lèvres et larme à l'œil en chantant : "Papa est rentré !". Le tableau de liège cerclé d'aluminium et piqué de punaises expose avec tendresse les maigres tâches à faire : une liste sous Excel, des mails d'information et un calendrier à mettre à jour. Ah ! Qu'il fait bon s'emmerder au quatrième quand dehors la pluie tombe.

Dimanche 13 mars 2011 à 20:05

"M: cad?
B: je sais pas, elle est une sorte de fil tendu au-dessus d'un vide d'où je ne pourrai plus sortir si je tombe."

Parce qu'on en parle toujours mieux aux autres.

Mercredi 9 mars 2011 à 23:50

          Il faut marcher sur des yeux mais avec la fatigue le pied, moins sûr, les crève. Alors, debout, en pissant du haut de la falaise, un pauvre sourire naît de l'idée que toute la houle vient des petits ronds d'urine dans l'eau. Du coup, les pêcheurs ramènent des filets vides et les baigneuses se rhabillent, sans doute la faute à la saison. Les doigts coincés dans la braguette, le vide nargue le dégoûtant maladroit qui titube mais finit par s'étaler le nez dans l'herbe. Plarf.

Samedi 26 février 2011 à 12:02

          Trop lents à boire avec Jé et  Ju, il a fallu échouer à une soirée de prépa dans un bar australien, judicieusement appelé l'Australian parce trois pauvres didgeridoos sont accrochés aux murs. Chemises, costumes pour les plus motivés, jupes et décolletés de chasse, c'est le soir des résultats des élections pour leurs associations, et sûrement leur première et dernière sortie de l'année. Bière chère qui se boit comme du sirop, musique vieille de mille ans au volume bloqué sur le mode acouphène, relents aigres de sueur et de clopes juste fumées dans le labyrinthe en mouvement des excités d'un soir.
          L'annonce des résultats s'est faite debout sur le zinc par cinq représentants qui n'étaient pas au courant qu'il n'y a pas besoin de gueuler quand on a un micro. Frustrés d'avoir raté Barbara Streisand et une moitié de Who's that chick, on a gobé les despé avec l'envie de la pizza rituelle d'une heure du matin. Mais le copain de Ju était arrivé, et Jé et moi avons pris un coup de vieux quand on nous a donné vingt-deux ans. Les plans ont changé pour un narguilé et un dernier demi dans un bar qui fout dehors ses clients en deux secondes à la fermeture. Enfin, les trois fromages et chèvre miel ont pu comme d'habitude aider à faire passer la pilule des soirées catastrophes.

Mercredi 23 février 2011 à 0:56

          Qu'il fait bon boire sous la lune. Echanger quelques rôts avec les acteurs d'une mauvaise pièce déjà terminée, quelques points de vie et de la mousse. Mais toujours pas de vomi car Paris veille.

Mercredi 16 février 2011 à 23:51

          A neuf heures l'hôtel particulier était vide. A neuf heures cinq une marée d'un mètre vingt fauchait nos jambes en criant "t'es qui, toi?", "meu...mama...maaan", ou "aujourd'hui, j'ai des biiiiilles !". Bref dialogue avec O., l'autre stagiaire, et l'équipe du centre de loisir. "Ben t'as qu'à circuler toute la journée pour découvrir, tout ça, quoi.". Une cour, une salle à manger, et plein de petites pièces remplies d'enfants qui  font des câlins aux "anim' que y sont trop cool" puis qui "[vont] te défoncer ta tête hé connard fais gaffe si les z'anim' y sont plus là" la seconde suivante. G. m'a offert des billes, A. n'avait pas de copains mais il a quand même mangé sa salade, K. est amoureux de C. mais pas elle parce que les garçons ça fait toujours n'importe quoi quand c'est t'amoureux, Y. met des claques, fait chier le monde et utilise le mot "bite" comme une ponctuation, L. trouve que la vie est belle et raconte l'histoire d'une petitifi et d'une bagete magiq et F. n'a aucune autorité et se fait frapper par des marmots.
          En fin d'après-midi, les enfants développent une monstrueuse envie de se foutre sur la gueule et j'en avais vingt-trois pour moi tout seul. De toute façon, comme c'est toujours lui qu'a commencé j'y rend il est trop con. Mais avec des gros yeux, une grosse voix et une partie de cache-cache, on peut éteindre le volcan. Un par un les parents défilent pour récupérer leurs bombes atomiques, leur ronde rythmée par un monotone "bonsoir, vous venez pour qui? Au revoir", et à dix-neuf heures il est temps d'aller au théâtre. Trois heures assomantes et une bataille de chantilly que le parquet a dû autant apprécier que nous.

Vendredi 4 février 2011 à 11:43

           Malgré une heure de retard, L. n'a pas fait de scandale. Alors, affamés, on s'est assis dans un snack de six mètres carrés qui proposait de choisir quatre ingrédients pour son sandwiche. J'aurai pu prendre surimi-haricots rouges-saucisse de strasbourg-coeur de palmier mais il y avait des ingrédients normaux. Pas un nuage dans le ciel de Nîmes, la faute au vent qui arrachait les oreilles, les nez et les doigts, et il a fallu trouver une place au soleil après un tour complet du jardin de la Fontaine. D'abord en bas, pour les études et la famille. Ensuite, cinq mètres plus haut pour étudier les codes ; elle s'appelle Jessica, elle porte des ballerines et un legging, attache ses cheveux lissés teints en noir avec une grosse pince de coiffeur rose, ravale sa façade bouffie avec une croute de fond de teint pour séduire Jimmy, requins aux pieds et ensemble jogging aux chaussettes qui remontent, tignasse coupée courte arrangée au gel et brillant à l'oreille qui crachera par terre pour lui donner son accord, puis ils emménageront quand elle sera enceinte à vingt-et-un ans et pourra goûter le plaisir de faire la tambouille, le môme sur le bras, en entendant hurler la playstation trois et son chômeur qui veut sa bière. Enfin, encore plus haut pour les derniers rayons, plutôt bonheur béat ou aigreur lucide? Entièrement d'accord sur le bon choix, elle est rentrée dans sa barre et moi dans ma poubelle.

Mardi 25 janvier 2011 à 12:59

          Je venais de m'asseoir dans le tram quand une sorte de tige à deux pattes, enveloppée dans un manteau kaki à moumoute, un jogging et des pantoufles se posa à côté. Il lisait mon journal par-dessus mon épaule en remontant son bonnet blanc sale qui lui tombait sur les yeux. Il respirait fort, la bouche ouverte, et ça sentait le café et les gitanes. Il posa son doigt en plein milieu d'un article, l'ongle était noir et il y avait une plaie à la base. Je me tournai vers son visage. Il souriait, édenté sur toute la partie supérieure, il avait une tête de tortue, un amas de plis de peau sèche, mate et mal rasée au bout d'un cou maigre et creux. Il ouvrit sa bouche qui portait une autre plaie et de la bave séchée aux coins pour articuler un "z'aime hien ne fout, hôa". Puis, sans reprendre son souffle, il enchaîna : "Y fait frôa, hé? Hôa z'aime has ne frôa, n'aime hieux n'été ! Vos z'aimez n'été, monsieur?". "Oui, moi aussi j'aime bien l'été". "Et ne fout? Z'en faîtes du fout? Hôa z'aurais n'aimé en faire du fout. Ou du truc, là", "le handball?", "oui, h'est ha, ne hanbolle ! Avé ne frôa ze me suis hait mal à la main, h'est pas hien ne frôa, hein monsieur?", "non, c'est vrai, je descend là, je vous laisse le journal?", "oh oui, herci monsieur, hous n'êtes hentil". C'est pas que j'attire les fous, c'est simplement qu'il y en a des millions.

Dimanche 23 janvier 2011 à 1:05

          L'administration, c'est fini. Vendredi, pour le dernier jour, il y avait du gâteau qu'on a passé la matinée à manger en refaisant le monde, noyés dans le café, en entendant pleurer les étudiants qui reviendront la semaine prochaine. De M., un muffin, de Dieu et N. des bises baveuses et de G. des contrats jusqu'à la fin de l'année. On fait des études, mais le travail, ça s'apprend sur le tas. Le bureau de Mme B., la mythique feignante éternellement malade du quatrième étage, va trouver une nouvelle propriétaire, il a donc fallu enlever les images découpées dans des magazines d'enfants, les figurines collées avec du chewing-gum et la souris d'ordinateur au couleurs d'Hello Kitty, emblème de cette tarée de quarante-cinq ans.
          Avec un litre et demi, on aura appris que diagonaliser des matrices, c'était pour les couilles molles, et que les pendus éjaculent. Dans vos gueules.

Jeudi 20 janvier 2011 à 1:36

          Encore une fermeture qui coûte cher. On a bu de la Kilkenny RED. C'est dégueulasse, on dirait de la flotte en moins bon. Les numéros sont pris, et Sète en perspective. La Troisième est pour bientôt alors faut en parler. Puis ces connes qui jouent leurs rôles, les suisses et leurs pompons, les parasites, et encore les biatches, au divan ! Sigmund vous écoute en se tâtant la queue et en essuyant le rimmel qui coule avec. J'ai mal à la patte folle.

Mercredi 19 janvier 2011 à 13:53

"Mr, Mme le professeur,

          Je vous écrit cette lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps, je viens de recevoir la visite d'un monsieur, qui m'a donné une feuille en faisant les gros yeux.
          Mr le professeur je suis un déserteur, du droit et autre matière, je ne suis pas un "branleur".
         Je voulais vous expliquez, pour ne pas vous heurter, j'aspire à la liberté, mais soyez sur que je reviendrais."
Étudiant N° 204, partiel de Droit et entreprise L1, 0/20

Mardi 18 janvier 2011 à 18:46

          Ce dimanche, le football américain aura été une boucherie. Une entorse à la cheville et une épaule fatiguée. En me voyant clopiner comme un grand-père, la question "mais qu'est-ce que tu t'es fait dis-donc?" est sortie dix fois dans la journée ainsi que "Oh la la !", "ah ben oui, ben oui" pendant l'explication. Sur le bureau, un carton d'invitation : "M. Baker, Philippe A., Président de l'Université Montpellier 1 a le plaisir de vous inviter à la présentation des vœux mardi 18 janvier 2010 à 11h. Un cocktail suivra la cérémonie." Imparable. La cérémonie pompeuse avait lieu dans le Palais des Sports, soit un petit stade couvert qui ressemble à un bunker. Trois cent personnes qui avaient reçu le même carton que moi attendaient l'arrivée du président, ou plutôt le signal autorisant à se jeter sur les buffets. Comme j'avais une atèle, j'ai fait le grand blessé et j'ai eu droit à une chaise. Mais le reste de l'assemblée a dû rester debout pendant l'heure et demi du discours, agrémentée d'une vidéo qui vantait les qualités de l'Université à des gens qui y travaillent tous depuis au moins cinq ans. Malin. Un discours banal en somme : personne n'en avait rien à branler. Quand les traiteurs ont enfilés leurs tabliers, tout le monde a compris que l'orgie allait commencer.
           Les bouchons de champagne ont sauté pendant les applaudissements. J'ai pris une coupe et j'ai entamé le circuit des cent mètres de table. Dans l'ordre : feuilletés en tout genres, petits choux, petits pains au fromage, carottes, concombres, tomates cerises, ravioles menthe-crevette, un pot de fleurs, saumon sur blinis, sushis, jambon, vin blanc,  encore un pot de fleurs, acras de morue, sandwiches fourbes qui carbonisent la langue, muscat, brochettes de trucs, chouquettes, fontaine de chocolat, morceaux de fruits, fraises tagada, macarons et café froid. La politesse exige de laisser un petit four dans chaque plat, comme s'il fallait mettre à mort celui qui aurait l'audace de le prendre. "Faut le laisser pour ceux qui en ont pas eu". C'est de l'hypocrisie, ça, madame. En rentrant à l'ISEM, à quinze heures, trois courgettes farcies m'attendaient. Tout le personnel de l'étage est donc resté jusqu'à quinze heure trente pour digérer avec un café en disant que vraiment, je fais que bouffer. Les étudiants ont encore râlé, et j'ai pourri la tarée qui venait pour la quatrième fois essayer de se faire rembourser une inscription qu'elle n'a pas payée. L'administration, c'est le salaire de la honte. Ça fait chier le monde entier, qui pourtant l'entretient avec ses impôts.

Samedi 15 janvier 2011 à 19:31

          Après concertation et édition d'une grande charte consultable dans la rue même, le comité des avis irréfutables de ce siècle a décidé que mac, c'était génial. Il faudra impérativement faire preuve de respect à tout ce qui y touche. De plus, concernant les domaines créatifs, il sera de bon ton de dire que l'on fait des hommages quand on copie.
          Ensuite, il sera nécessaire de fumer en répétant avec une assurance toute crédible que l'on va bientôt arrêter, il faudra adorer le monde de Tim Burton en éliminant froidement ceux qui y dérogeraient, dire de tous les foies gras qu'ils sont très bons, choisir les artistes que l'on aime, et ceux que l'on hait, uniquement parmi la cinquantaine proposée, choisir quatre ou cinq idéaux et les défendre bec et ongles, ne pas hésiter à en changer en fonction des situations, dire le plus tôt possible qu'avant ç'aurait été mieux, porter une fierté correcte voire encombrante et être capable de toujours la justifier, cracher sur son pays ou sur les étrangers pour pouvoir faire bien en toutes circonstances, connaître ses classiques, pas ceux des autres, et souligner, d'ailleurs, qu'ils sont tous cons.
          Il sera permis et même préférable d'avoir des problèmes, il y en a toute une palette mais ceux qui touchent à la psychologie seront bien plus gratifiant quoique ceux touchant au sexe marchent aussi très fort, qu'il faudra exposer comme des médailles en veillant bien à ce qu'elles brillent plus que celles des autres. Du personnel sera à votre disposition pour vous épancher. Il faudra s'efforcer d'acquérir des objets communs à la masse pour des raisons d'une part pratique, car tout le monde saura s'en servir, et logique, c'est forcément excellent, d'autre part, puis il deviendra automatique de cracher sur la génération d'avant en s'offusquant, les yeux tout ronds et la bouche grande ouverte, de la décadence de celle d'après. Ça s'est toujours fait, il y a des recettes qui marchent à long terme. Par contre, il serait idiot de remettre en question le comité des avis irréfutables de ce siècle puisque l'on se bat pour l'intégrer. Il y a un paradoxe, ici, oui. Ça fait très bien mais je n'ai pas de vie sociale.

Vendredi 14 janvier 2011 à 14:02

          Prolongé d'une semaine encore, je vais pouvoir jouer à un nouveau jeu assez triste qu'on a mis en place avec ma chef Mme P., que nous appellerons Dieu. Depuis hier viennent des étudiants étrangers des quatre coins de la planète pour retirer des dossiers d'inscription pour l'an prochain. De l'Espagne à la Guadeloupe, du Maroc et même d'Islande, tous viennent retirer les papiers verts en essayant parfois de discuter avec leur petit bagage de français. C'est convivial, exotique et mondialisé. Sauf avec les chinois.
          Généralement, ils se déplacent en bande de cinq ou six, avec un chef qui parle français pour le reste du groupe. Pas de quoi s'affoler. Sauf que ce meneur est payé une fortune par les familles des autres pour ce service là, et que, loin d'être un étudiant, il appartient à une boîte privée chinoise qui se chargera de donner des cours de français aux jeunes chinois moyennant une autre somme exorbitante. C'en est un qui me l'a expliqué, pas honteux du tout, en ajoutant qu'il n'y a aucune solidarité entre eux, bien au contraire. Parfois, c'en est un ou une qui vient seul. Ils ne disent jamais bonjour les premiers, et j'ai pu rester deux minutes entières à en regarder une dans les yeux pour vérifier. Quand enfin je le lui ai dit, elle m'a tendu un papier plié. C'était une photocopie de son visa. "C'est pour quoi?", et elle a mis le doigt sur la feuille qu'elle venait de me donner. J'en ai conclu qu'elle voulait un dossier vert, qu'elle a pris avant de sortir toujours sans un mot. Puis Dieu est entrée, elle avait l'air de faire la gueule, et m'a expliqué qu'elle en avait eu trois ce matin qui lui avaient fait le même coup. Comme le système permet à des étudiants ne parlant pas le moindre mot de français de s'inscrire simplement en faisant remplir leurs dossiers par les vautours des sociétés privées, c'est normal qu'ils essayent d'entrer. Alors maintenant, Dieu a décidé qu'on ne donnait plus de dossiers si la demande, même avec des mots plus ou moins bien assemblés, n'était pas formulée. Ce n'est pas méchant, puisqu'ils n'arriveront jamais à suivre les cours, et que de toute façon, ils reviennent dans les jours suivants avec un des vautours leader de groupe. J'imaginais la publicité que les boîtes qui leur apprennent le français doivent faire en Chine pour qu'il en vienne autant, tout en me disant que dans l'affaire tout le monde était une ordure, nous parce qu'on à l'air raciste, les sociétés chinoises qui sont si vénales et les étudiants chinois qui nous prennent pour des cons quand ils pensent qu'on fait les inscriptions sans voir les personnes.

Mercredi 12 janvier 2011 à 12:25

          La tradition veut qu'à l'ISEM, chaque année, le directeur offre des galettes aux administratifs et aux professeurs. Ainsi, hier, tout ce petit monde avait rendez-vous à treize heures pile dans le hall du quatrième étage, dont la réputation en matière de festivités n'est plus à faire. Quatre tables nappées en papier avec sept royaumes et deux galettes dessus attendaient, comme tout le monde, l'arrivée de Madame le directeur. On s'échangeait des meilleurs vœux et des bonnes années plus ou moins sincères entre personnes qui se connaissaient plus ou moins. Un informaticien gras commença à m'emmerder parce que je portais un t-shirt publicitaire Linux, et lorsque je lui ai dit que l'habit ne faisait pas le moine, cet abruti m'a demandé si la phrase était de moi. Enfin apparut Mme L., la directrice.
          Mme L, a exactement cinquante ans et trois liftings. En français contemporain, on dit "cougar". Ses bottes à haut talons étaient bien cirées à force d'être léchées, notamment par S. qui a l'air tellement émoustillé quand il lui parle qu'il lui sucerait sans doute la queue si elle en avait une. Son pantalon, tellement moulant qu'on voyait le pli du tissu avalé par sa fente à l'entre-jambe, était maintenu par une énorme ceinture, bien au-dessus du nombril, pleine de bibelots d'où sortait une chemise blanche ouverte sur un décolleté pas vraiment de saison ni de première fraîcheur. L'ensemble, sûrement hors de prix, était emballé dans une veste assortie décorée d'une broche démesurée et portait au sommet un visage au sourire figé entouré d'un rouge pétard, recouvert d'une croûte de fond de teint, et planté de cheveux décolorés lissés avec application. Elle m'adressa un "Beune Eunnée" avec son accent de vieille snobinarde puis lâcha à l'assemblée un fourbe "Je n'euh peus l'heubitude de feure de longs disceuhrs mais" en sortant cinq feuilles agrafées entre elles qui signifiaient "trouvez vite où vous asseoir parce que ça va durer mille ans". Et elle entama son long discours, qu'elle déclamait en regardant son auditoire qui hochait docilement de la tête, preuve d'heures de répétition devant la glace. Le texte était rempli de banals "progrès", "collaboration" ou "formidable travail d'équipe", et elle appelait l'école "l'entreprise". Je levais pour la faire chier les yeux au ciel quand elle me regardait, pour qu'elle comprenne que se vanter de payer une fortune une agence de communication au lieu d'augmenter les aides aux étudiants n'était pas une si bonne idée. Bien sûr, on a tous applaudi, et j'ai pu me ruer sur la galette d'une main en faisant péter le cidre de l'autre. A cause des deux pizzas de midi, je n'en ai mangé que deux parts, mais j'ai bu ma bouteille tout seul. Puis un longue négociation s'est lancée pour que je fabrique des fausses cartes à partir de dossiers d'étrangers résidant au Cameroun qui ne s'en serviront jamais aux collègues de l'étage. "Tricher c'est bien, mais quand c'est pas nous qu'on le fait" à souligné S., et il m'a cru quand je lui ai dit que je ferai payer dix euros par carte.
          Au goûter, vers quinze heures, il restait trois royaumes. Dans la cuisine, ça parlait de Mme B. l'éternelle absente. Puis par une curieuse association d'idée que je n'ai pas suivie parce que j'étais encore en train de manger, ils en sont venus à suggérer une grève administrative. C'est-à-dire rester dans son bureau, mais ne rien faire de la journée. Quasiment comme d'habitude, quoi, mais pour protester. Ici, l'administration, c'est une bande de malades sous les ordres d'une folle et travaillant pour des tarés.

Mardi 11 janvier 2011 à 0:52

          Née d'un chat angora et d'une pluie battante, Mairèze avait tout de la syncope. Elle fendait les plaines sur son char à pneu, mettait des livres dans ses lasagnes, ce qui faisait beaucoup rire sa marraine, comptait ses os pour un jour partir au ski avec son yucca adoptif et travaillait à la chaîne. Il y avait Mu-Rodrigue, qu'elle avait rencontré dans les tranchées, Etoototototo avec qui elle avait vécu un enfer sur une île déserte, et Mina qui lui disait chaque matin ; "mettre, mets, mis, c'est pourtant simple, il faut toujours" et elle s'arrêtait là. Ils étaient tout le temps ensemble, tous les quatre en se persuadant qu'ils étaient huit, et ça leur suffisait. Mu-Rodrigue a épousé Mina par amour pour ses meubles de jardin, et ils se sont rendus un jour compte que Etoototototo n'avait jamais quitté son île. Mairèze restait donc avec les quatre autres et ce manège dura quinze ans. Entre-temps il y eu des orages, des marchés aux puces et quelques invasions de moustiques aux premières chaleurs, mais rien qui n'eut pu entraver le cycle de sa digestion.
          Elle tomba enceinte par ennui et accoucha d'un bel enfant et d'une brouette un peu petite. L'outil fit de brillantes études et une carrière dans le chant lyrique, mais son frère eut moins de chance et devint simple chauffeur de canapé. Sa maternité permit à Mairèze de rencontrer Aude, une femelle lévrier qui habitait dans la banlieue de Mars et qu'elle croisait régulièrement devant la machine à dragibus de la clinique. De leur amitié naquit une passion pour les jeux de hasard et d'argent et Aude mourut d'un échec à la roulette russe.
          En rassemblant les draps blancs et quelques blouses, Mairèze créa Al-ibn-Roger, une sorte de poète en tissu sale pour qui elle accepta de changer de nom. Elle s'appela donc Y. C'était plus court et, donc, beaucoup plus pratique et ils célébrèrent cette idée lumineuse avec un bouquet d'arrosoirs en sucre. Ils moururent quatre ans plus tard de leur bonheur, et leurs corps firent place respectivement à un feu d'artifice et un pmu. La brouette écrivit d'ailleurs un sulfureux roman sur les amis de sa mère qui fit un tabac en Argentine.
 

Lundi 10 janvier 2011 à 17:55

          J'avais tout préparé la veille au soir pour gagner du temps. Les vêtements propres et le petit radiateur déjà dans la salle de bain pour ne pas faire dix aller-retours, le pain de mie dans le grille-pain, le bol et le verre sur la table, la radio à portée de lit et toutes les portes ouvertes. Je suis parti avec dix minutes de retard et, dans le tramway, une petite fille jouait à la grande en tenant un journal à la main et en regardant la foule avec un sourcil levé derrière ses lunettes de myope de bac à sable. Aujourd'hui devait voir le retour de Mme B., qui avait déjà prolongé ses vacances d'une semaine, mais bien sûr sa chaise est restée vide. Alors à neuf heures et demie c'est à pas lent que je suis allé à la cuisine pour manger la galette de S., et j'ai triché pour ne pas avoir la fève, car non content d'avoir moins de frangipane, celui qui la trouve doit amener la suivante. Une heure plus tard je retournai au bureau. Y avait-il eu des étudiants entre-temps? Mystère. M. m'a amené trois cent cinquante-quatre copies qui attendaient leurs étiquettes, et à midi il m'en restait six. Mais on ne rigole pas avec l'heure du repas. Je les laissai et descendis acheter un sandwiche. Je n'eus pas le temps de roter de plaisir que P. m'appelait. Il n'avait pas mangé, et je l'ai accompagné au RU pour un second repas.
          Des enveloppes, des diplômes et un logiciel minable. Trois étudiants sportifs, d'après leurs joggings, leurs sweats à capuche et leurs sacs en bandoulière sont venus pour que l'un d'eux paye le droit au sport. Trois cerveaux étaient nécessaires, sans doutes. Ils sont partis en riant grassement parce que le plus malin avait dégazé bruyamment dans le couloir. Puis quand la barre des tâches a affiché quinze heures cinquante, je suis allé aux toilettes pour rogner ces dernières dix minutes. La minuterie des cabinets dure sept minutes exactement, j'imaginais un pauvre constipé qui serait obligé de sortir pour sautiller devant le capteur la quéquette à l'air pour rallumer et pensais à la possible coïncidence entre ce timing et des statistiques.
          Cette journée, c'était vendredi de la semaine dernière, ce sera demain, à quelques détails près. Comme ce soir où elle fera la fermeture avec moi. Prolongations s'il-vous-plaît.

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