La tradition veut qu'à l'ISEM, chaque année, le directeur offre des galettes aux administratifs et aux professeurs. Ainsi, hier, tout ce petit monde avait rendez-vous à treize heures pile dans le hall du quatrième étage, dont la réputation en matière de festivités n'est plus à faire. Quatre tables nappées en papier avec sept royaumes et deux galettes dessus attendaient, comme tout le monde, l'arrivée de Madame le directeur. On s'échangeait des meilleurs vœux et des bonnes années plus ou moins sincères entre personnes qui se connaissaient plus ou moins. Un informaticien gras commença à m'emmerder parce que je portais un t-shirt publicitaire Linux, et lorsque je lui ai dit que l'habit ne faisait pas le moine, cet abruti m'a demandé si la phrase était de moi. Enfin apparut Mme L., la directrice.
Mme L, a exactement cinquante ans et trois liftings. En français contemporain, on dit "cougar". Ses bottes à haut talons étaient bien cirées à force d'être léchées, notamment par S. qui a l'air tellement émoustillé quand il lui parle qu'il lui sucerait sans doute la queue si elle en avait une. Son pantalon, tellement moulant qu'on voyait le pli du tissu avalé par sa fente à l'entre-jambe, était maintenu par une énorme ceinture, bien au-dessus du nombril, pleine de bibelots d'où sortait une chemise blanche ouverte sur un décolleté pas vraiment de saison ni de première fraîcheur. L'ensemble, sûrement hors de prix, était emballé dans une veste assortie décorée d'une broche démesurée et portait au sommet un visage au sourire figé entouré d'un rouge pétard, recouvert d'une croûte de fond de teint, et planté de cheveux décolorés lissés avec application. Elle m'adressa un "Beune Eunnée" avec son accent de vieille snobinarde puis lâcha à l'assemblée un fourbe "Je n'euh peus l'heubitude de feure de longs disceuhrs mais" en sortant cinq feuilles agrafées entre elles qui signifiaient "trouvez vite où vous asseoir parce que ça va durer mille ans". Et elle entama son long discours, qu'elle déclamait en regardant son auditoire qui hochait docilement de la tête, preuve d'heures de répétition devant la glace. Le texte était rempli de banals "progrès", "collaboration" ou "formidable travail d'équipe", et elle appelait l'école "l'entreprise". Je levais pour la faire chier les yeux au ciel quand elle me regardait, pour qu'elle comprenne que se vanter de payer une fortune une agence de communication au lieu d'augmenter les aides aux étudiants n'était pas une si bonne idée. Bien sûr, on a tous applaudi, et j'ai pu me ruer sur la galette d'une main en faisant péter le cidre de l'autre. A cause des deux pizzas de midi, je n'en ai mangé que deux parts, mais j'ai bu ma bouteille tout seul. Puis un longue négociation s'est lancée pour que je fabrique des fausses cartes à partir de dossiers d'étrangers résidant au Cameroun qui ne s'en serviront jamais aux collègues de l'étage. "Tricher c'est bien, mais quand c'est pas nous qu'on le fait" à souligné S., et il m'a cru quand je lui ai dit que je ferai payer dix euros par carte.
Au goûter, vers quinze heures, il restait trois royaumes. Dans la cuisine, ça parlait de Mme B. l'éternelle absente. Puis par une curieuse association d'idée que je n'ai pas suivie parce que j'étais encore en train de manger, ils en sont venus à suggérer une grève administrative. C'est-à-dire rester dans son bureau, mais ne rien faire de la journée. Quasiment comme d'habitude, quoi, mais pour protester. Ici, l'administration, c'est une bande de malades sous les ordres d'une folle et travaillant pour des tarés.
Au goûter, vers quinze heures, il restait trois royaumes. Dans la cuisine, ça parlait de Mme B. l'éternelle absente. Puis par une curieuse association d'idée que je n'ai pas suivie parce que j'étais encore en train de manger, ils en sont venus à suggérer une grève administrative. C'est-à-dire rester dans son bureau, mais ne rien faire de la journée. Quasiment comme d'habitude, quoi, mais pour protester. Ici, l'administration, c'est une bande de malades sous les ordres d'une folle et travaillant pour des tarés.