Baker

Cas clinique

Jeudi 30 décembre 2010 à 20:05

          La fin était pour aujourd'hui. F. m'a dit que j'étais très satisfaisant et ça m'a suffi. Ils ont gagné la chasse aux énigmes. Puis le groupe est allé fêter ça. Seulement 14 personnes qui se voyaient pour la plupart pour la dernière fois en criant "faut trop qu'on s'fasse un truuuuuc !" Par chance, E. est une fille géniale qui veut me défier à la boisson dans la semaine, elle aussi accroc au VA. L. m'a offert une écharpe pour le covoiturage, puis elle est repartie à Nîmes. Vivement l'ALSH.

Jeudi 30 décembre 2010 à 1:16

          Au stage bafa, il a fallu monter un spectacle d'une heure en une demi-journée. Les feignants, les immatures, les vulgaires, les vieux, les trop investis et les là par hasard sont tous montés dans le même bateau pour pondre un truc potable. Un groupe obéit souvent à des règles strictes : création de clans de cinq maximum, dictature de celui qui crie le plus fort et hypocrisie car on doit absolument tous rester de sacrément bons copains. Ça a été un massacre. Ça pleurait à droite parce que les robes en papier crépon se déchiraient rien qu'en éternuant, ça gueulait des salopes et des putes pour la robe de princesse qui a été utilisée pour plusieurs numéros et en réunion la veille, F. a dit qu'elle mettait sa main à couper qu'après ça on serait vachement plus soudés. Elle va devoir apprendre à écrire de la main gauche.

Mardi 28 décembre 2010 à 23:16

http://baker.cowblog.fr/images/LauraHerts.jpg
          Laura Herts fait du clown. Elle marche sans avancer, à un visage en caoutchouc et passe autant de temps dans la salle que sur la scène. J'ai vécu une grande histoire d'amour à Paris avec elle, parce que son mari, Harry, l'avait abandonnée. On a dansé avec la poursuite dans la figure, elle m'a mis la main aux fesses puis m'a tiré dans les coulisses où elle m'a mis torse nu avant de balancer mes fringues sur les planches en hurlant de plaisir. Puis j'ai ramassé mon haut en allant me rassoir sous les fous rires qui se calmaient. Elle a compris que notre amour était impossible en voyant ma voisine de gauche. Donc elle a craché de l'eau, jeté des confettis, s'est maquillée, est passée seins nus, mimé des millions de choses, boudé, fait le grand écart et nous a fait pisser de rire. C'est du spectacle de très haut niveau.

Samedi 25 décembre 2010 à 12:15

          On devait être trois, pour la première fois en cette occasion car jamais nous n'avions été moins de dix. Mais à cause d'un mort, d'un chaud lapin, de deux boudeurs, de deux faux-culs grippe-sous, d'une fille non-reconnue et enfin d'une divorcée, les chiffres étaient brouillés. Mais à 18h30, la sonnette a interrompu une engueulade naissante. C'était l'oncle queutard à qui le coup du soir avait fait faux-bond avec le vieil alcoolique chez qui on fait régulièrement du tarot. Deux têtes de plus n'étaient pas gênantes, pour les repas on prévoit large et ils avaient amené du vin. L. a fait un scandale pour ouvrir ses cadeaux à l'apéro puis est partie jouer avec jusqu'au repas. Manger, tarot, ivresse, au revoir. Résultat de la première session : un singe à cravate et un billet vert.
          A peine le temps de cuver qu'on est à nouveau à table, le sapin est plus grand et il y a plus de monde. Le repas dure un siècle et l'ambiance est meilleure de ce côté là. Peut-être parce qu'il y a plus de cadeaux. Des réflexions parce que je mange comme quatre en arrosant au même niveau. C. et V. me ramènent et pour la première fois depuis un mois la serviette verte s'est dépliée, le futon s'est rouvert et je Lui ai fait la bise. Il croit que ça va repartir comme avant, ça doit être génétique le fait de ne pas retenir les leçons.

Lundi 20 décembre 2010 à 20:16

          Rendez-vous à dix heures à Celleneuve. Arrivés à moins vingt avec l'étrange B., elle a voulu m'offrir un café en retour du covoiturage. Quelle chance ! Elle connaissait bien le coin, et nous voilà assis dans le PMU le plus dégueulasse de la ville. On ne voyait presque pas l'eau à travers le verre. Assis à une table voisine, un vieux mâchait dans le vide en bougonnant, sous le regard mort des quadras aux gueules burinées qui tétaient leurs demis du matin, perchés comme des corbeaux déjà crevés sur leurs tabourets. Le patron feuilletait l'Equipe en jetant de temps à autre un œil à sa possible femme, une espèce de grosse maquerelle qui dégoulinait de sa chaise. Une petite queue devant le Rapido qui affichait mollement ses tirages. On ne parle pas là-dedans, on murmure. C'est l'église des usés.
          L'étrange B. aime ce genre d'endroit, car elle aime les courses, et "qu'le seul endroit sur terre où tu peux trouver un bon tuyau pour les ch'vaux, ou mêm' une bonn' boulanj'rie c'est les PMU, t'vois?". L'étrange B. cligne tout le temps des yeux, regarde subitement à droite ou à gauche, parle en pesant chacun de ses mots, se confond en excuse pour un rien et à des tonnes de malheurs à raconter, emmitouflée dans sa doudoune orange. Bien sûr, c'est moi sur les dix qu'elle a appelé pour faire du covoiturage, j'attire les tarés mais on ne juge pas, attention. Ô désolation de l'humain, ô décrépitude faîte femme, que notre siècle est tombé bas. Cependant, F. est belle à en mourir avec son chapeau tigre.

Vendredi 17 décembre 2010 à 14:48

          Brouhaha dans le couloir. Une femme et un homme. Presque tout l'étage est déjà parti en vacances et personne n'y prête attention. L'ennui me pousse à aller voir. C'était I., en compagnie d'un petit étudiant à lunettes, chétivement emballé dans un manteau noir trop grand qui lui descendait jusqu'aux chevilles. Il répétait : "mais écoutez-moi, écoutez-moi...". Et elle, comme un disque rayé : "Non, non, non,...". La scène était amusante et commençait à dégénérer. Il lui a pris le bras, et j'attendais de la voir lui foutre une claque. Mais elle tardait à le faire et le ton montait gentiment. Elle : "c'est trop tard !", lui : "mais écoutez-moi !", "vous êtes un psychopathe, jeune homme !", "non, ce n'est pas ça un psychopathe, madame. Un psychopathe, c'est quelqu'un qui harcèle les gens. Moi, je suis pas un psychopathe, non, non", "lâchez-moi !". Alors j'ai joué au héros. "Y a un problème, I. ?", "oui, il veut s'inscrire et c'est bien trop tard !". Il s'énerve : "mais j'ai eu des prô-blêê-meuh ! laissez-moi m'inscrire, vous comprenez ? Vous avez pas le droit ! J'ai eu des prôblêmeuh !". "Tu la lâches et tu dégages.". Il l'a fait et j'étais fier. On l'a entendu cracher un petit " n'reviendrai" de vaincu et on est allé finir le gâteau qui restait dans son bureau.
          Quelques minutes plus tard, le téléphone a braillé. A l'autre bout, une jeune femme qui m'a
très sérieusement expliqué qu'elle voulait s'inscrire pour devenir manager, sans le bac mais avec quand même un cap serveuse. Avant que j'ai eu le temps de l'envoyer bouler, elle a enchaîné en disant qu'elle désirait que je m'occupe personnellement de sa situation et a demandé mon nom. Je le lui ai donné : "Jafar Baker", et elle l'a gobé. Puis elle m'a donné ses nom, prénom et numéro que j'ai mis à la poubelle avant même d'avoir raccroché, je n'aime pas les princesses.
          Tout va bien en cette fin d'année.

Jeudi 16 décembre 2010 à 17:21

          "Qu'est-ce qu'on fête aujourd'hui?", "la promotion de S.". Alors on a une fois de plus ouvert du champagne au bureau 401. Mme B. était de nouveau malade, quatre demi-journées, ça vous tue ces bestiaux-là, et son incompétence, même si ça rajoute deux heures, m'offre sur un plateau un contrat pour janvier. Puis d'étiquettes en origine de l'expression "ça va?", j'ai pensé à elle, qui me demande de la dessiner avec tellement de politesse que je n'ose pas essayer, un peu jaloux du terroriste qu'elle renverse sur les planches. Mais je m'en fous, dans un mois je la croiserai tous les jours et Faber-Castell bossera à son compte. Bonnes fêtes, bonnes fêtes, honnes hêt', gnognegnêt,...
          De son côté il a dit à L. que j'avais abandonné parce que mes mains tremblent, et la vieille a mis son véto sur le repas de noël. Il suffit que ça ait l'air d'aller mieux pour que ça pète encore plus fort ; du coup le barbu rouge et blanc viendra pas se garer devant le 28. On échangera les politesses quand on aura le temps.

Mercredi 15 décembre 2010 à 16:59

          Arrivé à neuf heures, des étiquettes et la machine. Une bonne journée de merde s'annonçait. Mais à l'ISEM, on sait décompresser en période d'examen, alors tout le personnel était invité au château de Flaugergues pour le repas de Noël. Donc à midi, tout le monde aux bagnoles et en route. Gros mas avec des vignes autour, grande salle de restaurant réaménagée par des architectes, et un menu de circonstance. Foie gras poelée, des machins fins bien présentés et une boîte de chocolats offerte. J'avais pu m'incruster en prenant la place de M. S. qui ne pouvait pas venir à cause des partiels à surveiller. Quand j'ai mangé l'entrée de Mme A. qui ne l'aimait pas, le serveur a compris que j'étais surtout venu pour bouffer, et il m'a demandé en rigolant si je prendrai deux fois du plat principal. Je l'ai pris au mot et j'ai torché mes deux onglets à l'artichaud. Le vin était produit sur place, leur rouge passait si bien qu'après une bouteille et demie, j'ai emporté ce qu'il restait, mais leur blanc était pire que de la pisse. La serveuse a poliment demandé si je prenais deux desserts en ajoutant un "vous êtes une vedette, vous !" que j'ai pris avec fierté parce que je ne l'ai pas comprise. La table attendait que j'ai fini ma seconde poire et ma troisième corbeille à pain pour décoller, et comme on avait plus le temps, on a zappé mon café. J'ai donc volé une bouteille de rouge, ce qui les a fait rire, mais ils ont dit du mal de Mme B. qui avait piqué une boîte de chocolat, soit disant que c'était intolérable. C'est ce qui arrive quand on est assez con pour se faire haïr. Retour au quatrième où cinquante-sept étudiants attendaient l'arrivée du service de la scolarité. Les plus beurrées ont délicatement fermé leurs portes et j'ai pris le relais. J'inscrivais ou rectifiais des dossiers sans rien comprendre, et ça gueulait que je faisais que boire et manger. En attendant, et comme d'habitude, s'il était venu à l'idée d'un étudiant de dire que tout ça était scandaleux, on l'aurait viré en lui disant de revenir demain. C'est le boulot le plus chiant du monde mais sait s'amuser, quoi, merde.

Lundi 13 décembre 2010 à 18:29

          Le thème du jour, c'était les copies de partiels. A force d'y mettre des étiquettes pour les rendre anonymes j'avais assez de colle sur les doigts pour me shooter pendant dix ans. Une fois ça fait, il fallait les passer dans une sorte de guillotine à papier flanquée de logos avec des doigts coupés et des visages qui pleurent pour me décourager de me couper les ongles avec. C'est fun pendant un quart d'heure. Alors pour remplir les deux heures trois quart restantes, j'ai lu les copies. Il en ressort que les filles écrivent bien, que, comme partout, il y a des glands qui ne branlent rien mais essaient quand même, qu'il existe des gens assez abrutis pour écrire là où il est noté en gras "ne rien écrire dans ce cadre", (qu'ils me pardonnent d'avoir tronçonné leur commentaire, ça leur fera les pieds), que 27% des yahourts de toute la Terre sont des Danone, que Danonino était à la base destiné aux femmes ménopausées qui ont besoin de calcium, et que les professeurs de l'ISEM donnent quand même des sujets foutrement cons.
          L'après-midi a vu réapparaître Mme B., qui ne se fera jamais virer vu que son père est un professeur très influent de l'établissement. Le bureau 416 retrouvait sa maman de 80 kilos moulés dans Guess, options string qui dépasse, fesses flasques qui roulent, teinture blonde aux racines noires et chewing-gum qui pête. La classe administrative. Toute contente que je n'ai pas touché ses bonbons Hello Kitty, elle m'a gratifié d'un sourire de bonne vache et s'est empressée de téléphoner à une autre gourde pour lui raconter ses malheurs. Mme B. est quelqu'un de très bête, mais d'une bêtise méchante. Elle ne fout rien, donc ses collègues la détestent, donc ils sont désagréables, donc elle est triste et ne fout rien. Elle a vite compris que j'étais revenu pour rattraper son retard et faire tout ce dont elle était incapable. Du coup la quinqua, vexée qu'on me demande de faire tout à sa place, a boudé mollement sur sa chaise confortable en gobant ses bonbecs. Son parfum lourd et sucré remplissait la pièce façon chambre à gaz. Au moins elle se taisait.
          Dix minutes avant de partir, il restait un tas de copies a trancher, mais une vieille dame était à la machine. Elle avait soixante-dix ans, et jamais je n'aurais pu penser qu'on puisse être aussi beau avec autant de rides. Le temps est une enflure mais pas avec tout le monde. 

Jeudi 9 décembre 2010 à 12:49

          "Bonjour Baker, j'ai un étudiant qui m'a appelée pour...". Elle, c'est Mme Q. de l'étage en-dessous. Arrive Mme A., du quatrième, tellement vieille qu'elle a sûrement tutoyé Napoléon : "Et bien, Mme Q., vous savez qu'il est interdit de draguer nos stagiaires. Hihihi". Et ça démarre. Q. : "Mais c'est pas tous les jours qu'on a de jeunes vacataires, on en a pas au troisième."
A. : "Déjà qu'il est le seul garçon de tout l'étage, ça va lui faire beaucoup si vous montez !"
Q. : "
Et puis avec toutes ces étudiantes, je les vois, qui traînent plus longtemps dans le bureau. Pas étonnant qu'il ait l'air fatigué."
Elles échangent encore quelques rires pincés puis sortent devant l'étudiante qui me jette un regard louche.


Mercredi 8 décembre 2010 à 14:49

          Vendredi, il est entré tout penaud dans le bureau, et même son petit sourire crispé qui dévoilait ses dents du haut ne me permit pas de deviner que j'allais devoir inscrire l'étudiant le plus taré de l'histoire de l'éducation nationale. Monsieur N. venait s'inscrire en première année de thèse. Il avait une énorme pochette près d'exploser, et ponctuait presque toutes ses phrases d'un généreux et appuyé "s'il vôs pléh" avec son accent syrien à couper au couteau. Il posa son mètre quarante au ventre si gros qu'il repoussait les limites des boutons de sa chemise au-delà du raisonnable sur la petite chaise rouge devant le bureau. Prenant une profonde respiration sans décrocher son sourire, il me regarda dans les yeux. Comme je voulus faire pareil, je fus bien embêté car son strabisme divergent ne me permettait de le regarder que dans l'un des deux. Je transformai mon fou rire naissant en un accueillant "Bonjour, c'est pour quoi?". Pendant qu'il faisait son discours, je remplissais un énième dossier couleur prune à son nom en alternant de polis "oui, oui" et de petits hochements de tête. Tout s'était bien déroulé, mais il fallut alors mettre les papiers à fournir. Monseigneur N., qui est une personne très organisée, les avait tous. Cependant, il n'en avait pas fait les photocopies mais se garda bien de me le dire. "Je peux te les faire si tu veux" proposai-je alors. Il accepta, tout joyeux, et me tendit un des quinze papiers. Un seul. "Et les autres?" eu-je l'affront de demander. "Faîtes la photocopie s'il veuoh pleyh". Comme il me suffit de sortir du bureau et de faire trois pas pour arriver devant la photocopieuse, j'y allai, tout en pensant que c'était l'unique papier à reproduire. Une fois de retour, je lui rendis sa feuille, et il s'empressa de la ranger bien à sa place dans la pochette plastique de la pochette cartonnée rouge de la grosse pochette à papier. Puis, le sourire aux lèvres et l'oeil gauche perdu quelque part, il me donna un nouveau feuillet. A mon sourcil levé d'étonnement, il me resservi le "Fayt' lah photokopih s'il veu pleu". Commençant à penser que ce brave garçon semblait résolu à me briser les couilles au casse-noix, je lui demandai poliment d'y ajouter les autres feuilles. Pour la troisième fois, "fètelaphotocopisilvoplé". Salaud. Le manège dura jusqu'au dernier, la "responsabilité civile". L'assurance, quoi. Quand je le lui demandai, le fourbe rigolard me tendit un beau pavé agrafé de vingt-cinq pages. "Je ne vais pas pouvoir copier tout ça", lui lançai-je. "Mis c'est l'assôrance !" s'indigna-t-il. Alors je dégrafai le paquet pour en tirer la seule page utile. Quand il me vit faire, il ouvrit tellement grand ses yeux effrayés qu'on aurait cru, avec son strabisme, un caméléon. "Vôs les remettrez dans l'ordre, hein !" dit-il avec ce qui lui restait de fierté devant l'acte monstrueux que je venais de faire. Tout le long de l'affaire, à chaque fois qu'un autre étudiant se présentait et que je disais "je finis avec lui et c'est à toi", Mister N. se figeait net et ajoutai "pas de sôçis, occupez-vous de lui, j'ai tout mon temps". Ce qui lui permit de rester vingt minutes pour ce qui d'habitude en dure trois.
          Enfin, toutes les pièces à fournir étaient à leurs places. Lui les siennes, moi les miennes. Vint alors le paiement, qu'il fit en recommençant pour des raisons abstraites que seul son cerveau devait comprendre deux fois un chèque avant d'abandonner pour me tendre sa carte bleue. Il partit dans une dernière courbette avec un grand "merci, môsieur. A bientôt". A bientôt? Oui.
          Aujourd'hui, je remontai les escaliers et tombai nez-à-nez avec lui. Ce benêt, toujours aussi souriant, me gratifia d'un gentil "coucou" de la main car il était au téléphone. Il venait récupérer sa carte magnétique. Prenant les devants, je ne l'attendais pas et courus la lui faire pour la lui jeter à la gueule avant même qu'il dise bonjour. Comme c'est interdit, je la lui donnai avec un "et voila, au revoir, bonne journée". Et enfin il s'en fut, vaincu et inscrit, à petit pas lents vers quelque amphi pour y faire macérer sa bêtise loin de mon bureau. 

Mercredi 1er décembre 2010 à 22:16

          Il faisait -100 ressentis -10000 mais elle a eu le don d'effacer cinq interminables minutes de retard avec un sourire, comme d'habitude. Trois pas et voilà nos culs gelés posés au vert, pinte et monaco. C'est la cinquième fille différente avec laquelle je viens en deux semaines, et je me plairais bien à penser qu'on puisse se faire des idées à ce sujet. Ouverture à propos de T., variations sur le thème d'architecture et de ses brochettes de têtes de cons, de vagues mises à jours des six derniers mois, un rabachage familial pour finir par une psychanalyse mutuelle à cause de nos lui et elle. Lui, elle y allait d'ailleurs, mais on ira à la plage récupérer une voiture.
          A nouveau les dossiers prunes, le logiciel, les étudiants bonjour-bonne journée, ça fera des sous pour les cadeaux. Mais personne ne le sait, que j'y suis. Faut dire que je le leur crie pas, et qu'ils ne leur viendrait pas à l'idée de demander.

Arf.
 

Vendredi 26 novembre 2010 à 14:12

          "Le traing numérô simileuh neufeuh çin quâtreuh vin sèteuh est arrivé à son terreminusse Montpéllié Cintreuh !". Echarpe, manteau et sac, pardon, pardon, tram, "ding-ding", escalier et fauteuil. Ouf. Il fait aussi froid qu'à Paris, ici, c'est fort de partir en été et de revenir en hiver.

          Larry Clark expose au musée d'art moderne, c'est interdit aux moins de dix-huit ans puisqu'il y a de la piquouze, du zizi et du minou. Des nus osés, de la dénonciation, de la provocation mais toujours de la poésie composent ce petit parcours en adolescence. Vive l'Amérique ! Car au rez-de-chaussée, il y a une rétrospective de Jean-Michel Basquiat. De 1977 à 1988, puisqu'il a arrêté la peinture dès sa mort d'overdose. Il a commencé par peindre sur les murs de New-York puis s'est mis à faire de la récup'. Partout des traces de ses obsessions sous acides : des O et des A à la pelle, des couronnes à trois pointes, les symboles $ et ¢ ou des mots écrits sans les voyelles. C'est très chargé, et sans pauses, on risque la mort par explosion des yeux. Le meilleur est sans doute les quelques œuvres faites en collaboration avec Andy Warhol, et si elles ne faisaient pas au moins trois mètres sur deux, j'en aurai bien volé quelques unes.

          A deux pas, le musée Guimet, gratuit pour les 16-25 ans, les chômeurs, les étudiants en art, en archi, les vieux, peut-être même les moches et les fœtus, et c'est à se demander d'où tombe le fric pour que ça tienne. Ici, on pourrait croire que c'est le temple de Bouddah, ce qui tient la route, puisque c'est un musée consacré aux arts extêmes-orientaux. Aux vieux bibelots poussiéreux qui sont quand même méchamment bien foutus, s'ajoute un petit parcours disséminé sur les 4 niveaux du bâtiment intitulé "Chen Zhen" montrant un tas de vêtements sur une charette qui émet des bruits de bébés, une table ronde avec des chaises accrochées dessus (très finement titrée "round table") quelques barbouillages à l'encre de chine et des machines à écrire fracassées, entassées ou isolées. Un vieux colonialiste trouverait à dire que tous ces bridés ne comprenaient rien à la perspective alors qu'on était en pleine Renaissance en Europe, faisaient des vases et des armoires trop kitschs pour s'adapter au sobre des meubles Ikéa et des masques de théâtre qui n'ont rien à envier à notre bon Guignol bien de chez nous. Comme ce n'est pas mon cas, j'ai regretté d'en avoir fait le tour en seulement deux heures. Alors j'ai fais un crumble. Puis l'ambiance fût au bizarre, plus qu'à l'habitude, alors je rendrai bien mon tablier si j'avais les profiterolles de choisir.

Mercredi 17 novembre 2010 à 22:41

          "La Vignette", théâtre de la faculté de lettre de Montpellier nous a proposé ce soir une représentation de Woyzeck, de Georg Büchner. Woyzeck. Frantz Woyzeck. C'est un soldat qui a un supérieur qu'il rase, de l'eau et un rasoir pour une barbe. C'est un mari qui a une femme qu'il aime, du sang et un couteau pour un adultère. C'est un pauvre, malade, qui a un docteur à qui il sert de cobaye, de l'urine et des analyses pour quinze euros par semaine qui aident à boucler le mois. C'est un homme qui a un camarade tambour-major qui aime Marie. Woyzeck aime aussi Marie, puisque c'est la mère de son enfant, celle qui reçoit la solde. Il y en a, du monde, autour de Frantz. Et pourtant, c'est l'homme le plus seul de la terre, avec ses délires médicamenteux et ses coups qu'ils reçoit parce que c'est un homme bon. Les coups, nous aussi on en prend. Dans la gueule, dans le moral puis dans les principes. Tous ces personnages nous prennent à parti mais nous, le public silencieux, on répond avec les yeux quand ils nous demandent "toi, toi, qu'est-ce que t'en penses?", "et toi?", "qu'est-ce que tu veux me dire?". Ce soir j'ai été fusillé par du bon théâtre, et j'en ai pleuré. Une pièce à voir avec prudence si l'on se sent seul, ou tout bêtement triste, parce qu'on risque alors de s'indentifier à ce soldat-là. Et on pleure le cadavre de Marie, tout seul dans le public silencieux qui répondra encore avec les yeux.

Mercredi 10 novembre 2010 à 12:06

http://en.academic.ru/pictures/enwiki/75/Ken_Park.jpg
          La  jeunesse qui s'emmerde à Visalia, Californie, fait du skate, baise et crache des ronds de fumée bleue. Ça commence par un suicide, puis se succèdent les tableaux des vies moroses de (presque toujours dans le même ordre) Shawn qui a la particularité de coucher avec la mère de sa copine, Claude le chétif dans des histoires paternelles, Peaches la grenouille de bénitier en devenir qui n'est pas tellement dans la voie de Jésus-Christ et enfin Tate, à la limite de l'autisme étouffé par des grands-parents trop en décalage avec l'époque. Des jeunes qui ont suffisamment de temps pour s'ennuyer et qui ont les moyens de faire ce qu'ils veulent pour s'occuper. Il n'y a pas d'avenir dans ce monde-là, les morceaux de présent s'enfilent, comme eux. Et ça reste extrèmement poétique, c'est tendre et dur comme il faut. C'est une histoire qui ne commence pas au début et qui ne finit pas à la fin pour tout le monde, à voir de toute façon. Et c'est de Larry Clark.

Mardi 9 novembre 2010 à 12:56

          Un stage pour apprendre à tenir un troupeau en bas-âge, deux couches de peinture, trois amis faux-culs sur un quillard à Carnon, quatre cds par jour, cinq sens brouillés par la fièvre, six-cent euros à rembourser au patronat, sept grammes dans le sang si c'était possible, huit mètres carrés sans vie, neuf nouveaux poèmes muets et dix qui font dix madame, bonne journée.

Dimanche 7 novembre 2010 à 0:29

          Le rideau est déjà levé, la scène est noire. Martine entre en scène une bougie à la main, elle chante des airs latins et vient poser sa flamme dans un des quelques cubes qui parsèment le plancher. De l'ombre sort Cesare, il est Michelangelo Merisi, Le Caravage ressuscité pour une paire d'heures, venu relater sa vie houleuse de peintre cracheur dans la soupe, un novateur emmerdant.
          La pièce, écrite à partir d'un roman de Fernandez, est un monologue autobiographique entrecoupé de chants et de répliques de ceux qui ont entouré l'artiste (cardinaux, nobles, amants,...). Coup de cœur d'Avignon off et joué pour la première fois quatre cents ans jour pour jour après la mort du Caravage, ce bon moment mérite d'être revu pendant sa tournée ou à Paris. Pèle-mèles, de la sensualité, de l'amour, du caractère, de l'humour et des tableaux humains.  Quelques boîtes accueillent à tour de rôle des bougies, et voila le clair-obscur. On comprend aisément les vingt minutes d'applaudissements si on est dans le public, même si au théâtre de Villeneuve-les-maguelones on a les genoux sous le nez quand on mesure un mètre quatre-vingt.

Samedi 6 novembre 2010 à 0:26

 
          "Présence obligatoire, jouables à 18 heures 30" avait dit le chef de la fanfare. Ce soir c'était un contrat, les dix ans d'une association, trois cent balles pour une heure et demie et le couscous était offert. Décollage à six heures moins le quart objectif la Paillade. Montpellier, la ville champignon, une micro Shanghai, toujours en travaux où les rues ont l'habitude de changer de sens et de se fermer pour des jours. Je suis pas le seul à me servir d'une voiture, et ça tourne au drame à chaque feu rouge et à chaque croisement, je la tiens au courant de l'affaire en direct alors qu'elle a mieux à foutre. Pas de klaxon, on se contente juste de gonfler les joues avec de gros yeux. Avenue fermée, soupir, cyclistes à contre-sens, jurons, travaux, hurlements. Gauche, droite, goiche, draute, merde, grauche, va niquer ta famille, doite, silence, c'est trop. Maison pour tous Léo Lagrange, il est sept heures trente. "Jusqu'à quelle heure jouons-nous?", "dix-neuf heures quarante-cinq". Peste. Bonjour mesdames, deux morceaux, au revoir messieurs.
          "Présence obligatoire, répétition à vingt heures" avait dit le metteur en scène. Ce soir c'était première lecture avec tous les rôles distribués. "Ahmed le Subtil", inspiré des fourberies de Scapin. J'ai coupé le contact à huit heures et quart. La lecture a duré deux heures, mais c'est pas mal écrit et y a plus chiant. Deux heures à penser à la pièce terminée, jouée. La pièce montée. Morphée, ouvre les bras, j'arrive. Elle dort déjà il paraît.


 

Lundi 25 octobre 2010 à 0:11

          Chaque année à Montpellier à lieu le festival du ciméma méditerranéen ingénieusement intitulé Cinémed. Et ce soir, la 32° édition proposait six court-métrages, à savoir "L'homme qui dort", "41", "La musique dans le sang", "Garagouz", "Quand tu cours", "Pour le meilleur..." et "E-pigs". Il fallait mettre une note sur dix à chacun, après visionnage. Qui dit note dit critique. A table.

          "L'homme qui dort" d'Inès Sedan. Une animation originale, très imaginative et sans paroles. Une jeune femme vit avec un homme qui dort tout le temps, elle rencontre un forain et l'amour passe le relai. En fait, l'intérêt ne réside pas dans la profondeur du scénario mais dans la recherche d'une forme poussée d'animation. Les personnages sont trop inexpressifs, et ça passe assez mal dans un film sans paroles. J'ai mis cinq par politesse.

          "41" de Massimo Cappelli raconte une visite au musée d'un quinquagénaire un peu aigri dont la télécommande explicative raconte la vie des gens dont il entre le numéro comme s'il étaient des oeuvres d'art, le numéro se trouvant sur un sac, un vêtement, un tatouage, et sur l'étiquette de sa chemise, 41 bien sûr. Tout est raconté, notamment la date et les circonstances du décès. Il se prend au jeu malsain, et l'acteur est irréprochable. En plus de ce scénario très simple mais qui fonctionne, l'ensemble est ultra-théâtral, les scènes sont des tableaux tracés au millimètre et le texte est loin d'avoir été écrit par un manchot. J'ai adoré, un dix bien mérité.

          "La musique dans le sang" de Alexandru Mavrodineanu. Un gamin de onze ans qui poursuit son rêve de devenir chanteur, soutenu par son père, et dont on voit une journée. Un bonne tranche de vie tartinée d'amour sincère. C'est poétique et en aucun cas mièvre ou niais. Extrèmement crédibles, les personnages sont attachants et ils méritent leur petit happy-end. Neuf.

          "Garagouz" de Abdenour Zahzah est un court voyage en camionette. Dedans il y a Nabil, son père, et leurs marionettes, en route pour un spectacle dans une école maternelle. Le chemin est long et il vont successivement rencontrer des paysans généreux à qui ils laisseront une poupée, un militaire pourri jusqu'au scrotum qui leur en prendra une et quatre musulmans intégristes, malpolis et mesquins, qui leur détruiront le reste des bonshommes en chiffon. Le spectacle sera réussi, même s'il est fait avec les moyens du bord. D'une poésie à couper le souffle, trempée dans de la philosophie avec des personnages adorables. J'ai eu la larme à l'oeil à la fin, ce sera un dix.

          "Quand tu cours" de Mikel Rueda est un coup de batte de base-ball. En pleine tête. Tellement violent que la salle a hésité à applaudir en se disant "c'est fini ? vraiment ?". Un jeune maghrébin, sur les essieux d'un camion parce que c'est mieux l'Europe, il paraît. A voir parce que ça calme. Et sévèrement. Neuf pour le goût très amer que ça laisse dans la bouche.

         "Pour le meilleur..." de Coralie Baroux Peronne. Chacun ses goûts. La merde a le sien. Avant la projection, la réalisatrice, présente dans la salle, a tenu à faire un petit discours. La parisienne snobinarde dans toute sa splendeur. D'affreux genoux cagneux plantés dans des bottes aux talons qui claquent sur l'estrade, et au sommet de la robe taillée par un parkinsonien, des mèches blondes qui pendent au-dessus d'un oeil torve qui sent l'alcool. Cette poulette guindée commence par nous dire qu'elle n'est rien d'autre que la femme d'Olivier Baroux, l'acolyte de Kad Merad et que nous aurions du "tilter en le lisant sur le papier". La délicate continue en nous racontant son parcours "merveilleux et très intéressant", à peine crédible et sûrement plein de pipes sous des bureaux dans des quartiers huppés de la capitale. Elle a un débit de parole monstrueux, et les gens se mettent à discuter entre eux. "Quand est-ce qu'elle va fermer sa gueule?" disent presque simultanément ma mère, la voisine de derrière et l'étudiant à ma droite. Pas tout de suite, car elle entame le meilleur : "j'ai fait ce film, mon premier, avec très peu de moyens". Ah bon. Donc, avec très peu de moyens, vous pouvez louer une île à Marseille pour deux jours, faire descendre de Paris huit acteurs professionnels en leur payant l'hôtel, arranger des décors kitschissimes à en vomir comprenant des lits en lin blancs, des poufs en cuir, une table de restaurant quatre étoiles, des rideaux blancs et des guirlandes de lampes. Enchantée, je suis une énorme snob faul-cul et superficielle, admirez mon délire de princesse pourrie gâtée à l'ego gonflé par un cercle très privé d'amis influents. "Ce film, c'est moi". Et ben j'aurais aimé marquer mon zéro au fer rouge sur ton cul de prétentieuse qui se moque des provinciaux qui ne comprennent rien au vrai cinéma.

          "E-Pigs" de Petar Pasic. Un pur délire. Ce court-métrage réduit votre cerveau à néant. Pas un mot de tout le film, et c'est tout un univers complètement barré qui vous pète à la gueule. Un peu comme Delicatessen mais concentré. Les personnages sont hystériques, tarés, sales, pleins de tocs, débiles et adorables. C'est un rêve sur grand écran. Un dix pour la fin.

          Georges Frêche est mort cet après-midi. Ca n'a strictement rien à voir. Quoique...


Dimanche 24 octobre 2010 à 14:08

          Pour 5 euros chez emmaüs, vous aurez un pantalon de costume, une veste pas du tout assortie et des chaussures en cuir marron à la sauce don Corleone. Ca tombe très bien, parce qu'hier soir, la fanfare jouait pour une fête avec pour thème les tziganes.
          Rendez-vous chez le chef pour charger la batterie à 20h30. Comme d'habitude je discutais avec elle et forcément, je suis parti en retard. Beaux-arts, parc Ste Odile, Paul-va, Zoo, Agropolis, Montferrier, St Clément ; il fait nuit noire et le brouillard s'en mèle, y a des fantômes dans le fossé, des ombres derrière les arbres et fip à fond. Pas une voiture sur la route de St Mathieu, juste un camion à pizza sans personne dedans, sûrement parti pisser. Je passe la cinquième pour lire le message qu'elle a envoyé, "prudence sur la route !", d'accord, je lui réponds pas. Arrivé à 20h20.
          Je sonne, M. m'ouvre et plante direct le décor, "t'es le premier, Baker ! Tu veux un verre". Gravette de Corconne. C'est un rouge assez commun mais qui se laisse boire. Je reste seul dans le grand salon parce que M. est retournée s'occuper des jumeaux, et apparemment "c'est du traaavail, olalala...". La sonnette se met à hurler comme les petits pour annoncer les deux A.. Ca me fait drôle de faire la bise à des quadras que je ne connais que depuis une semaine. Je prends un troisième verre pour accompagner leurs premiers. Pour se déguiser en tzigane, A. avait pris un poncho parce qu'il n'avait rien d'autre, et A. une cravate et un chapeau. Minimum syndical. Des gens arrivent petit à petit, j'en connais la moitié et je donne mon verre à C. pour arrêter de faire saigner le cubi. Le boss se pointe en blouse et pyjama, on charge la batterie dans les voitures et c'est parti.
          La proprio du mas est jeune et laide, et ses haillons de gitanes ne la mettent pas en valeur. "Vous voulez boire un coup?". Les soixante personnes qui nous attendaient avaient fait un bièricide, et il ne restait que du rhum et des citrons. Bon. Très bon, même. "Deux ti punch et on démarre !" crie L.. Je ne connais pas les morceaux par coeur et il fait trop noir pour que j'arrive à lire les partitions. De toute façon, le public est encore plus soul. Après une heure et demie, "Dix minutes de pause bouffe !". On reprend après trois quarts d'heure de rhum-couscous, aucun rapport avec les tziganes. D'ailleurs, on est que dix à avoir fait l'effort du costume moche et chemise ouverte, pour les autres, c'est juste un chapeau. Nouveau tour de piste d'une heure, puis mon premier boeuf. Des bouteilles partout, ça ronfle dans les fossés et ça gerbe, il est temps de se rentrer. Au revoir tout le monde, je vole un chapeau à un barbu qui me tient la jambe "passque la muuusique, c'est gééééniââl" et qu'il le sait parce que "comme [moi], [il] fait de la trompette". Tiens, prend un coup de ma boîte de clarinette dans le cul, Ducon.
          Me revoilà sur la route, accompagné par le brouillard. St Mathieu, maison, au lit. C'était la fête chez les voisins, mais ils avaient pas de fanfare.
 

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